Présentation des faits 1
Un couple charge une agence immobilière de rechercher un acquéreur pour l'immeuble dont il est propriétaire. La convention de courtage est conclue pour une durée de six mois, renouvelable de mois à mois à défaut de renonciation par lettre recommandée. En outre, elle contient une clause par laquelle les propriétaires s'interdisent de vendre directement ou par l'entremise d'un tiers, le bien qui fait l'objet de la convention de courtage, sans en avertir préalablement l'agent immobilier qui aura droit à la totalité de ses honoraires, à savoir 3 % du prix de la vente, plus TVA et ce, sans devoir justifier de ses activités, à titre d'indemnités forfaitaire.
Un peu moins d'un an après la conclusion de ce contrat, le couple vend son immeuble à un acquéreur, par le biais d'un tiers. L'agence immobilière réclame alors le paiement de la totalité de ses honoraires à titre d'indemnité pour non-respect de la clause d'exclusivité. Le couple refuse et conteste la validité de cette indemnité au motif que la clause qui la prévoit serait abusive.
En première instance, le juge condamne le couple à payer à l'agent immobilier la totalité de ces honoraires. Le couple fait appel.
Décision de la Cour d'appel de Bruxelles
La Cour rappelle qu'à l'époque où la convention de courtage a été conclue, c'est-à-dire en 1995, elle était soumise à la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, laquelle contenait une liste de clauses considérées comme abusives.
La question qui se pose est donc celle de savoir si la clause d'exclusivité octroyée à l'agent immobilier et ouvrant le droit, dans l'hypothèse où les vendeurs prendraient l'initiative de vendre le bien eux-mêmes ou par l'intermédiaire d'un tiers, à une indemnité égale aux honoraires qui seraient dus à l'agent immobilier s'il avait trouvé lui-même un acquéreur, constitue une clause abusive au sens de cette loi.
En l'espèce, la Cour considère qu'une telle clause qui garantit à l'agent la totalité de ses honoraires, sans que celui-ci ne doive justifier du moindre effort ou de la moindre prestation, est effectivement abusive au sens de l'article 31 de la loi du 14 juillet 1991 en ce qu'elle crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties.
Par ailleurs, les articles 32. 8 et 32. 15 de cette loi interdisent les clauses qui ont pour effet d'obliger le consommateur à exécuter ses obligations alors que le vendeur n'aurait pas exécuté les siennes ou serait en défaut d'exécuter les siennes ainsi que celles qui déterminent le montant de l'indemnité due par le consommateur qui n'exécute pas ses obligations, sans prévoir une indemnité du même ordre à charge du vendeur qui n'exécute pas les siennes.
Il en résulte que la clause prévoyant que l'agent immobilier a droit à la totalité de ses honoraires en cas de non-respect de l'exclusivité qui lui est octroyée doit être considérée comme nulle car abusive.
La Cour d'appel réforme donc le jugement du premier juge et estime que le couple n'est pas redevable d'une indemnité égale au montant total des honoraires de l'agent immobilier.
Bon à savoir
La loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur contenait une liste de clauses considérées comme abusives. Cette loi a désormais été remplacée par le Code de droit économique dont le livre VI vise à réglementer les pratiques du marché et à protéger le consommateur lorsqu'il conclut un contrat avec une entreprise.
Une entreprise étant définie comme toute personne physique ou personne morale poursuivant de manière durable un but économique, y compris ses associations, il ne fait aucun doute que les dispositions du Code de droit économique s'étendent aux conventions conclues entre un agent immobilier et un consommateur 2. L'article 1er du Code de déontologie de l'Institut professionnel des agents immobiliers prévoit d'ailleurs expressément que l'agent immobilier doit respecter les dispositions relatives aux pratiques du marché et la protection du consommateur 3.
Pour que ces dispositions s'appliquent, le client de l'agent immobilier doit être un consommateur, c'est-à-dire une personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale 4. Le Code de droit économique ne s'applique donc pas si le client de l'agent immobilier est une société commerciale ou une personne achetant à des fins professionnelles, mêmes partielles, car elles sont jugées aptes à se défendre seules 5.
Le Code de droit économique interdit et frappe de nullité toute une série de clauses considérées comme abusives. Par clause abusive, il y a lieu d'entendre la clause qui à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses ou conditions, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties 6. L'article VI. 83 du Code contient d'ailleurs une liste non-limitative de clauses considérées comme abusives en toutes circonstances.
C'est le cas notamment de la clause qui détermine le montant de l'indemnité due par le consommateur qui n'exécute pas ses obligations, sans prévoir une indemnité du même ordre à charge de l'entreprise qui n'exécute pas les siennes 7. Il en est de même de la clause qui oblige le consommateur à exécuter ses obligations, alors que l'entreprise n'aurait pas exécuté les siennes ou serait en défaut d'exécuter les siennes 8.
Il en résulte que la clause qui prévoit que le propriétaire, vendeur d'un immeuble, s'interdit d'aliéner lui-même le bien sans en avertir préalablement l'agent immobilier, qui aura alors droit à la totalité des honoraires prévus, constitue une clause abusive au regard des articles VI.83, 17° et VI.83, 8° du Code pénal en ce qu'elle permet sans réciprocité à l'agent immobilier d'exiger de son client l'exécution de la totalité de ses prestations alors que lui-même est dispensé de prester les siennes 9.
Une telle clause doit donc être considérée comme nulle. En vertu du droit commun, l'agent immobilier pourra toutefois demander réparation du préjudice causé par le non-respect de son exclusivité. Il peut dès lors demander une indemnisation pour les prestations accomplies ainsi que le remboursement des frais exposés. En outre, la violation de la clause d'exclusivité a entraîné une perte de chance de réaliser la vente pour l'agent immobilier qui peut donc en demander l'indemnisation 10. Cette perte de chance sera évaluée en équité par le juge 11.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Bruxelles, 14 novembre 2014, RG n° 2010 AR 320.
2. Article I.1, 1° du Code de droit économique.
3. Article 1er du Code de déontologie de l'Institut professionnel des agents immobiliers.
4. Article I.1, 2° du Code de droit économique.
5. M. Walh, La responsabilité de l'agent immobilier, Kluwer, Waterloo, 2009, p. 32.
6. Article I.8, 22° du Code de droit économique.
7. Civ. Turnhout, 24 décembre 1998, R.C.D.I.-T.app., 2002/3, p. 18.
8. Article VI. 83, 8° du Code de droit économique.
9. Civ. Charleroi (5e ch.), 15 septembre 2000, J.L.M.B., 2001/29, p. 1244 ; P. Wéry, « L'article 32, 15°, de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur la protection et l'information du consommateur : l'exigence de réciprocité des clauses pénales », J.L.M.B., 2001/29, p. 1246.
10. Mons, 23 mars 1994, Rev. not. b., 1994, p. 558.
11. Civ. Liège, 2 février 1999, J.L.M.B., 1999, p. 1357.