Présentation des faits 1
Le 15 septembre 2010, un contrat a été conclu entre Madame X et le propriétaire d'un bien, en vertu duquel Madame X s'engage en sa qualité d'agent immobilier à rechercher un acquéreur pour l'ensemble immobilier appartenant au propriétaire. Le prix de vente était fixé à 320.000 euros, honoraires compris. L'agent immobilier était néanmoins autorisée à le diminuer jusqu'au montant de 310.000 euros, honoraires compris.
Le 27 janvier 2011, une offre d'achat est signée par un couple d'acquéreurs pour un prix de 285.000 euros et moyennant la concession d'un bail à la maman du propriétaire d'une durée de 9 ans renouvelable pour un loyer mensuel de 400 euros non indexés.
Le propriétaire refuse cette offre, au motif que, dès le départ, il avait exigé que la vente de son bien soit assortie d'un contrat de bail à vie au loyer mensuel non indexé de 300 euros en faveur de sa maman qui habite les lieux et qui était âgée à l'époque de près de 80 ans.
L'agent immobilier conteste et estime que cette condition n'était pas prévue initialement.
Ultérieurement, l'agent immobilier présente au propriétaire une nouvelle offre portant sur le prix de vente de 310.000 euros mais, avec un bail non à vie au loyer mensuel de 650 euros. Le propriétaire refuse également cette offre au motif qu'elle ne correspond à ses exigences.
Par la suite, le contrat liant l'agent immobilier et le propriétaire prend fin, sans qu'aucune n'acquéreur n'ait pu être trouvé. L'agent immobilier réclame toutefois le paiement de ses honoraires, ce que le propriétaire refuse. L'agent introduit alors une action en justice afin d'obtenir ses honoraires, estimant qu'elle a rempli sa mission et que la non réalisation de la vente est imputable au seul propriétaire.
Décision de la Cour d'appel de Liège
La Cour rappelle qu'en vertu de l'article 1315 alinéa 1 du Code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. C'est donc à l'agent immobilier qui réclame le paiement de ses honoraires qu'il appartient de prouver qu'elle a bien accompli la mission qui lui avait été confiée.
En l'espèce, la Cour constate que la convention du 15 septembre 2010 conclue entre le propriétaire et l'agent immobilier ne comporte aucune mention concernant la condition de l'octroi d'un bail à vie.
Cependant, il ressort que cette convention se compose, pour sa plus grande part, de mentions pré imprimées qui furent complétées pour être adaptées à la situation du propriétaire et qui ne laisse guère de place à la rédaction de conditions contractuelles particulières.
En outre, la Cour relève qu'il apparaît que l'agent immobilier a exécuté la convention en intégrant l'exigence d'octroi d'un bail puisque la seule offre qu'il produit porte sur un prix de 285.000 euro moyennant la concession d'un bail de 9 ans renouvelable à la maman du propriétaire et un loyer mensuel de 400 euro non indexés. Or, si l'offre contient ce bail, c'est que nécessairement l'agent immobilier avait signalé aux candidats acquéreurs l'exigence d'un bail à concéder à la maman du propriétaire.
Il en résulte que cette exécution par l'agent immobilier constitue un aveu extra judiciaire tacite mais certain de ce que la convention conclue entre elle et le propriétaire comprenait bien, dès sa formation, une obligation de concession d'un bail.
En effet, si tel n'était pas le cas et si c'est en cours d'exécution de la convention que la condition de l'octroi d'un bail a été mentionnée pour la première fois, l'agent immobilier, en sa qualité de professionnelle, aurait dû se ménager un écrit actant éventuellement des réserves, ce qu'elle n'a pas fait.
Par ailleurs, la Cour constate que l'offre d'achat reprend mot pour mot les mentions qui avaient été intégrées par le notaire du propriétaire dans une convention de vente rédigée en son étude en 2008 et reprenant la condition de concession d'un bail à vie moyennant un loyer mensuel de 300 euro non indexés. Il peut dès lors s'en déduire que cette convention avait bien été remise par le propriétaire à l'agent immobilier préalablement à la conclusion du contrat.
Il en résulte que, puisque l'offre d'achat ne correspondait pas aux exigences du propriétaire (ni le prix de vente de 310.000 euros minimum, ni l'octroi d'un bail à vie de 300 euros non indexés ne sont respectés), il était légitime dans son chef de la refuser, ainsi que la suivante portant sur le prix de vente de 310.000 euros mais, avec un bail non à vie au loyer mensuel de 650 euros.
Par conséquent, la Cour décide que la demande de l'agent immobilier au paiement de ses honoraires doit être déclarée non fondée car il n'est pas démontré que ce dernier a rempli sa mission de vente.
Bon à savoir
L'article 1315 al. 1 du Code civil, dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver 2. Parmi les différents modes de preuve, on peut citer l'aveu, lequel peut être extrajudiciaire ou judiciaire 3.
L'aveu peut être défini comme une déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai et comme devant être tenu pour avéré à son égard un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques 4.
En outre, la jurisprudence considère que l'aveu peut être tacite et découler du comportement de la partie concernée, en particulier de l'exécution spontanée d'une convention ou d'une obligation 5. C'est ce que la doctrine appelle « l'aveu en action » 6.
L'existence d'un « aveu en action » peut être prouvée par toutes voies de droit 7.
Il en résulte que l'exécution par un agent immobilier d'une clause particulière du contrat, qui le lie au propriétaire du bien qu'il est chargé de vendre, constitue un aveu extrajudiciaire du fait que ce contrat comprenait dès sa formation ladite clause, à moins que l'agent ne soit en mesure de démontrer que cette clause a été adoptée ultérieurement.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
______________________
1. Liège, arrêt du 28 mai 2013, R.G. n° F2012/RG/1159.
2. Article 1315 al. 1er du Code civil.
3. Article 1354 du Code civil.
4. D. Mougenot, « La preuve en matière civile - Chronique de jurisprudence 2002-2010 », J.T., 2011/29, p. 593.
5. Liège, 4 mars 2010, Rev. rég. dr., 2009, p. 200.
6. P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, Bruxelles, Bruylant, 2010, n° 1798.
7. Civ. Anvers, 28 juin 2007, R.W., 2009-2010, p. 969.