Présentation des faits 1
Monsieur A. est propriétaire de plusieurs terrains qu’il désire vendre. Monsieur D. se porte acquéreur de ces terrains.
Le 16 juillet 2008, Monsieur A. écrit à son notaire « qu’il vend à Monsieur D., trois terrains moyennant la somme de 7500 euros. Cette vente se fera avec une clause de préemption au nom de ma femme L. Pour cette vente, monsieur D. vous prend également pour la passation de l'acte ». Simultanément, Monsieur A. écrit à Monsieur D. qu’il trouvera, ci-joint, une copie de la lettre qu’il adresse au notaire.
Le notaire écrit le 15 octobre 2008 à Monsieur D. pour lui demander différents documents. Ce dernier reste toutefois inactif et ne transmet aucun document au notaire.
Entre temps, Monsieur A. est décédé le 13 octobre 2008.
Le 4 octobre 2010, Messieurs B. et O., héritiers de Monsieur A., assignent Monsieur D. en justice en vue d’obtenir la résolution de la vente des terrains dont Monsieur A. était propriétaire avant de les vendre à Monsieur D. En première instance, le juge déclare la demande irrecevable.
Messieurs B. et O. font appel de cette décision et postulent à titre principal, que l'offre de vente émise par leur auteur, Monsieur A, n’a jamais été acceptée par Monsieur D., de sorte que l’offre est désormais caduque.
En appel, la Cour constate que Monsieur A. a consenti une promesse unilatérale de vente à Monsieur D. en s'engageant à vendre à celui-ci des terrains déterminés pour un prix déterminé. Il n’a toutefois pas précisé le délai dont disposait Monsieur D. pour accepter cette offre.
En l’espèce, l’acceptation de D. n’est survenue que dans les conclusions que Monsieur D. a déposées devant le premier juge le 25 janvier 2011, soit plus de deux ans après que l’offre de vente ait été formulée. Or, à ce moment-là, Messieurs B. et O. qui étaient liés par l'offre de leur auteur, avaient déjà retiré celle-ci, puisque leur citation du 11 octobre 2010 postulait la résolution de la vente tout invoquant qu'il n'y avait jamais eu vente, ni même l'amorce d'un accord entre les héritiers et les prétendus acheteurs.
Par ailleurs, la Cour d’appel estime que puisque l'offre portait sur trois terrains clairement identifiés pour un prix qui ne nécessitait pas de gros mouvements de trésorerie, un délai de quelques semaines était suffisant pour que Monsieur D prennent position, ce qu'il n’a pas fait.
Par conséquent, la Cour d’appel réforme la décision du premier juge et dit pour droit qu’il n’a pas contrat de vente dès lors que l’offre de vente formulée par Monsieur A. n’a pas été acceptée par Monsieur B., ni de son vivant, ni postérieurement à son décès jusqu’au 11 octobre 2010, date à laquelle l’offre a été retirée par Messieurs B. et O., héritiers de Monsieur A.
Monsieur D. introduit un pourvoi en cassation contre cette décision.
Décision de la Cour de cassation
La Cour indique que, conformément au délai de prescription fixé par l’article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, du Code civil, le droit du bénéficiaire de la promesse de contrat de lever option se prescrit, en règle, par dix ans dans le cas où la promesse ne fixe aucun délai.
L'interprétation de la volonté des parties peut toutefois amener le juge à déduire des circonstances de la cause que la promesse a été consentie pour une durée inférieure au délai de prescription.
En l’espèce, la Cour constate que la Cour d’appel a légalement justifié sa décision de dire que Messieurs B. et O. étaient déliés de la promesse de vente de leur auteur. En effet, puisque la promesse de vente portait sur trois terrains bien identifiés pour un prix qui ne nécessitait pas de gros mouvements de trésorerie, un délai de quelques semaines était suffisant pour que Monsieur D. prenne position.
Par conséquent, Messieurs B. et O. étaient en droit de considérer, lors de l’introduction de leur citation, le 11 octobre 2010, soit plus de deux ans après la formulation de l’offre de vente, que la promesse de vente était devenue caduque de sorte l’acceptation de l’offre survenue le 25 janvier 2011 n’a pas pu valablement former contrat de vente.
Bon à savoir
L’offre de contrat, qu’il s’agisse d’une offre d’achat ou d’une offre de vente, est juridiquement contraignante pour son auteur une fois qu’elle a été émise 2. Ce caractère obligatoire de l’offre implique la mise du contrat à la disposition de son destinataire.
L’offre devient dès lors irrévocable pendant le délai fixé par l’offrant. A cet égard, la durée de l'offre peut avoir été fixée expressément ou tacitement 3.
Si aucun délai de validité de l’offre n’a été formulé, le droit du destinataire de l’offre d’accepter celle-ci se prescrit, en principe, par dix ans, conformément au délai de prescription des actions personnelles 4.
L'interprétation de la volonté des parties peut toutefois amener le juge à déduire des circonstances de la cause que l’offre a été consentie pour une durée inférieure au délai de prescription.
Dans ce cas, c’est le juge qui déterminera le délai raisonnable, appelé aussi délai moral 5, endéans lequel le pollicitant ne peut se départir de son offre. Ce délai raisonnable est laissé à son libre pouvoir souverain d'appréciation. Il doit toutefois tenir compte des circonstances de la cause telles que notamment la complexité de la proposition, la nature du bien, les qualités des futures parties contractantes ou les circonstances particulières, (urgence éventuelle, éloignement des négociateurs, etc…) 6.
Si le pollicitant retire son offre avant l’expiration d’un délai raisonnable, il commet une faute quasi délictuelle qui l'oblige à compenser le manque à gagner du destinataire de l’offre 7.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cass., 26 mai 2014, R.G., n° C.13.0450.F, www.juridat.be
2. C. Delforge, « L’offre de contracter et la formation du contrat », R.G.D.C., 2005, 2e partie, p. 14.
3. P. Wéry, Droit des obligations, vol. I. Théorie générale du contrat, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 144.
4. Article 2262 bis §1er, al. 1er du Code civil.
5. T. Starosselets, « Offre et acceptation : principes et quelques questions spéciales », in Le processus de formation du contrat, 2004, p. 29.
6. Mons, 10 décembre 1985, R.D.C.B., 1986, p. 670.
7. Civ. Mons, 15 mars 2000, J.L.M.B., 2001, p. 1309.