Présentation des faits 1
Un couple confie à une agence immobilière la mission exclusive de trouver acquéreur pour l'immeuble dont ils sont propriétaires. Il s'agit d'une mission de courtage, de négociation de la vente et de signature du compromis de vente.
Un compromis de vente est conclu entre le couple et un des administrateurs délégués de l'agence. Par la suite, le couple demande l'annulation de ce compromis en se fondant notamment sur l'article 1596 du Code civil qui prévoit que « ne peuvent se rendre adjudicataires, sous peine de nullité, ni par eux-mêmes, ni par personnes interposées, les mandataires, des biens qu'ils sont chargés de vendre ». L'administrateur délégué conteste cette demande et demande reconventionnellement la condamnation du couple à passer l'acte authentique de vente.
Tant en première instance qu'en appel, le juge prononce la nullité du compromis de vente. L'administrateur délégué de l'agence immobilière intente un pourvoi en cassation contre cette décision.
Décision de la Cour de cassation
La « mission exclusive de vente » confiée à l'agence immobilière est un mandat dès lors que l'agent est chargé de conclure le compromis en lieu et place des vendeurs.
Il en découle que l'agent immobilier ne peut en principe pas, sous peine de nullité, se rendre adjudicataire, ni par lui même, ni par personnes interposées, du bien qu'il est chargé de vendre 2. Cette interdiction subsiste aussi longtemps que le mandant n'a pas mis fin au mandat. A cet égard, l'accomplissement de l'acte qui est l'objet du mandat par le mandant vaut révocation tacite du mandat.
En l'espèce, la signature du compromis par les vendeurs en leur nom propre a nécessairement mis fin au mandat de l'agence immobilière de signer le compromis de vente en leur nom. Dès lors que le mandat a pris fin, l'interdiction posée par l'article 1596 du Code civil cesse.
En conséquence, la Cour casse la décision d'annulation du compromis de vente prononcée par le juge d'appel et renvoie la cause devant un autre juge.
Bon à savoir
Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom 3.
Dans la majorité des cas, l'agent immobilier n'est pas investi d'un véritable mandat mais d'une simple mission de courtage, laquelle consiste à rechercher un candidat et à le mettre en relation avec le vendeur 4.
En effet, le mandat n'existe que si l'agent immobilier a reçu le pouvoir d'accomplir un acte juridique au nom de son mandant. C'est notamment le cas lorsque l'agent est chargé de signer le compromis de vente au nom du vendeur, de signer le bail au nom du bailleur pour un bien qu'il a reçu mission de mettre en location ; de rédiger une option ou de percevoir des provisions sur le prix de vente 5.
A cet égard, la seule mention dans le contrat que les vendeurs donnent « mandat de vendre » n'implique pas que le mandataire disposait du pouvoir de donner le consentement à la vente en lieu et place de ses mandants, en apposant sa signature sur la convention de vente à la place de ceux-ci 6. C'est la commune intention des parties qui permettrait de déterminer s'il s'agit véritablement d'un mandat.
Il découle de l'article 1596 du Code civil que si l'agent immobilier est titulaire d'un mandat, il ne peut se porter contrepartie, sous peine de nullité de l'acte accompli en méconnaissance de cette règle. Cette disposition, qui fait exception à la règle générale de la capacité d'acquérir, est d'interprétation stricte et vise à prévenir le conflit d'intérêts qui naîtrait si, dans un acte de vente, la même personne pouvait intervenir en deux qualités inconciliables : d'une part, comme mandataire du vendeur, normalement soucieux de vendre au prix le plus élevé, et, d'autre part, comme acquéreur, désireux d'acheter au prix le plus bas 7.
Cette prohibition subsiste aussi longtemps qu'il n'a pas été mis fin au mandat. En effet, si le mandataire est déchargé de sa mission, il peut intervenir comme acquéreur dès lors qu'il ne cumule plus la double qualité de mandataire du vendeur et d'acquéreur. A cet égard, l'accomplissement de l'acte qui est l'objet du mandat par le mandant vaut révocation tacite du mandat 8.
Par ailleurs, l'article 68 du code de déontologie de l'Institut professionnel des agents immobiliers, dispose que l'agent immobilier courtier ne peut, quant à un bien pour lequel il s'est vu confier une mission, manœuvrer aux fins de devenir cocontractant de son commettant, que ce soit ou non via un mécanisme d'option cessible. Toutefois, il peut proposer ouvertement de devenir cocontractant de son commettant, à condition qu'il renonce à poursuivre la mission relative au bien concerné et que les intérêts légitimes de son commettant ne soient pas lésés 9.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cass., 13 septembre 2012, Res Jur. Imm., 2013/ 2, p. 154.
2. Article 1596 du Code civil.
3. Article 1984 du Code civil.
4. M. Wahl, La responsabilité professionnelle de l'agent immobilier, Kluwer, Waterloo, 2009, p. 27.
5. Ibid., p. 30.
6. Liège, 2 juin 2003, R.D.C.,2004/ 1, p. 66.
7. Cass., 13 septembre 2012, Res Jur. Imm., 2013/ 2, p. 154.
8. Cass., 13 septembre 2012, Res Jur. Imm., 2013/ 2, p. 154.
9. Article 68 du Code de déontologie de l'Institut professionnel des agents immobiliers.