Présentation des faits1
Un homme, propriétaire d'un immeuble, confie à un agent immobilier le mandat exclusif et irrévocable de vendre son immeuble. Le mandat stipule que l'agent a tout pouvoir pour signer tout compromis de vente et percevoir tout acompte.
Quelques mois plus tard, le propriétaire reçoit un compromis de vente signé le 26 août 2007 et intervenu pour un prix de 60.000 euros. Le document mentionne que l'acquéreur a remis un acompte de 3.000 euros et que la vente est faite sous la condition suspensive d'octroi d'un crédit hypothécaire.
Il s'avère toutefois que l'acquéreur est en possession d'un autre document, lequel n'a pas la même présentation formelle. Celui-ci est daté du 20 août 2007 et la condition suspensive est différente quant au montant du crédit hypothécaire devant être octroyé pour que la vente se réalise. Une mention manuscrite y a également été ajoutée, prévoyant que si le prêt ne se libère pas le 15 septembre, l'acompte sera remboursé.
Le 20 décembre 2007, le propriétaire écrit à l'acquéreur pour lui indiquer qu'aux termes du compromis de vente en sa possession, l'acte authentique de vente doit être signé pour le 26 décembre au plus tard. Il le met donc en demeure de passer l'acte pour le 3 janvier au plus tard et signale qu'il demandera l'application des intérêts de retard.
Le 18 février 2008, l'acquéreur indique au propriétaire que la vente est inexistante puisque le prêt n'a pas été accordé. Le propriétaire conteste et souligne que le délai de cinq semaines pour dénoncer la condition suspensive est expiré.
L'acquéreur indique avoir prévenu l'agence dès le 14 décembre 2007 et avoir demandé à cette occasion la restitution de l'acompte. Quelques mois plus tard, l'acquéreur assigne le propriétaire pour obtenir la restitution de l'acompte de 3.000 euros.
Décision de la Cour d'appel de Mons
La Cour d'appel de Mons constate que les compromis de vente présentés du 20 août et du 26 août 2007 ne respectent pas le prescrit de l'article 1325 du Code civil puisque chaque exemplaire est différent dans son contenu En outre, ils portent des dates et mentions manuscrites différentes et il n'y est fait aucune mention du nombre d'exemplaires signés.
En réalité, l'exemplaire que détient le propriétaire est une copie qu'il a reçue de l'agence immobilière et non le compromis de vente original, contrairement au document détenu par l'acquéreur.
Il se déduit du non-respect de l'article 1325 du Code civil que le compromis de vente est nul.
La nullité de l'instrumentum n'implique toutefois pas forcément la nullité du negotium, c'est-à-dire de la vente.
En l'espèce, il résulte de différentes pièces que la vente entre le propriétaire et le candidat acquéreur a bien eu lieu pour un prix de 60.000 euros moyennant une condition suspensive de l'obtention d'un prêt hypothécaire dans les cinq semaines même si le montant à emprunter peut être discuté. Il n'est par ailleurs pas contesté qu'un acompte de 3.000 euros a été versé entre les mains de l'agence immobilière.
La Cour indique par ailleurs que c'est seulement en novembre 2007 que l'acquéreur a été informé par l'organisme dispensateur de crédit que son dossier était refusé et qu'il en a avisé l'agence immobilière le 14 décembre 2007. Par conséquent, il ne pouvait évidemment pas notifier dans les cinq semaines du compromis de vente une réponse de l'organisme bancaire qui n'existait pas encore.
La Cour estime en outre que la notification au vendeur de la non-réalisation de la condition suspensive relève de la preuve de ladite non-réalisation et ne constitue pas la condition suspensive. Par conséquent, il y a lieu de considérer que puisque la condition suspensive ne s'est pas réalisée dans le délai des cinq semaines repris dans les deux compromis, la vente n'est pas intervenue. Il en découle que le propriétaire est tenu de reverser au candidat acquéreur l'acompte versé entre les mains de l'agent immobilier.
Bon à savoir
L'article 1325 du Code civil impose aux actes sous seing privé qui contiennent des conventions synallagmatiques d'avoir été faits en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct et que chaque original contienne la mention du nombre d'originaux qui ont été faits2. Ces formalités sont prescrites à peine de nullité de l'acte.
Les règles de l'article 1325 du Code civil sont cependant imposées à titre probatoire et non pas à titre de validité de la convention conclue entre les parties. En d'autres termes, ce qui est atteint par la nullité, c'est l'instrumentum, et non le negotium, c'est-à-dire le contenu de l'acte3. Ce dernier pourrait donc encore être prouvé par aveu ou par serment4.
Par ailleurs, l'acte nul pour méconnaissance des dispositions de l'article 1325 du Code civil peut être utilisé à titre de commencement de preuve par écrit et être, dès lors, complété par témoignages et présomptions5. Cela suppose, bien entendu, que l'acte réponde aux exigences de l'article 1347 du même Code, c'est-à-dire qu'il émane de celui à qui on l'oppose et qu'il rende vraisemblable le fait allégué6.
Il en découle que même lorsque le compromis de vente est nul pour défaut de forme, parce que les deux exemplaires sont différents quant à leur contenu, qu'ils portent des dates et mentions manuscrites différentes, et qu'il n'y est fait aucune mention du nombre d'exemplaires signés, il vaut comme commencement de preuve par écrit.
Par conséquent, d'autres éléments pourront servir à démontrer l'existence d'une vente entre les parties et la présence d'une condition suspensive7. Tel est le cas notamment lorsque chaque partie dispose d'un document mentionnant l'existence d'une condition suspensive pour l'obtention d'un crédit et qu'il est prouvé que l'acquéreur a effectué les démarches auprès de la banque afin d'obtenir ledit crédit.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Mons, 29 avril 2013, J.L.M.B., 2015/1, p. 7.
2. Article 1325 du Code civil.
3. C. trav. Bruxelles , 24 février 1989, R.G. n° F-19890224-15.
4. D. Mougenot, « La preuve », in Rép. not., tome IV, Livre 2, 2012, n° 139.
5. Anvers, 1er juin 2004, NjW, 2005/ 117, p. 801.
6. Article 1347 du Code civil.
7. Voy., F. Mourlon Beernaert, « La preuve de la vente », in Manuel de la vente, Kluwer, Waterloo, 2010, p. 119.