Présentation des faits 1
En date du 19 janvier 2005, un propriétaire a donné à bail commercial un rez-de-chaussée commercial à destination d'une boulangerie, au loyer annuel de 9.600 euros, soit 800 euros par mois, indexé à chaque échéance annuelle du bail. Le bail a pris cours le 1er janvier 2005.
En plus de ce bail commercial, le propriétaire a accordé au preneur une option d'achat sur le bien, au prix de 165.000 euros à la condition que l'acte authentique d'achat soit signé au plus tard le 30 mai 2006. Par ailleurs, le bail prévoit qu'en cas de mise en vente des lieux loués, le preneur bénéficiera d'un droit de préférence à prix égal.
Le 9 juillet 2012, l'agent immobilier du propriétaire a annoncé au preneur que le propriétaire souhaitait mettre en vente le rez-de-chaussée commercial. Le 30 août 2012, le preneur a demandé au bailleur le renouvellement du bail, pour une durée de neuf années prenant cours à son échéance, soit le 31 décembre 2013, aux conditions actuelles.
Le 4 septembre 2012, le bailleur a refusé le renouvellement au motif qu'il souhaitait faire des travaux de transformation importants. Il a également précisé que les travaux de transformation représentaient plus de trois ans de loyer et touchaient à la structure même des lieux loués.
Le 9 septembre 2012, le preneur a demandé à connaître la nature exacte des travaux, s'il n'était pas possible de les réaliser sans qu'il doive vider les lieux et si la vente était toujours d'actualité et à quelles conditions. Le 24 septembre 2012, il a lancé citation en vue d'entendre dire le refus de renouvellement non fondé et, en conséquence, le bail renouvelé aux mêmes conditions.
En première instance, le juge de paix a déclaré la demande du preneur non fondée. Ce dernier a dès lors fait appel contre cette décision.
Décision du Tribunal de première instance
Le preneur fait valoir devant le Tribunal que le motif des travaux invoqués par le bailleur pour s'opposer au renouvellement est un vain prétexte et que le but avoué par le bailleur est en réalité la vente du rez-de-chaussée et non la réalisation des travaux.
A cet égard, le Tribunal rappelle que c'est à lui qu'il appartient de vérifier si le motif invoqué par le bailleur à l'appui du refus de renouvellement, à savoir sa volonté de réaliser des travaux de reconstruction de l'immeuble, est sincère et réalisable.
A cet égard, le Tribunal constate que c'est par lettre du 4 septembre 2012 que le bailleur a informé le preneur de son refus de renouvellement fondé sur l'article 16.I, 3°, de la loi sur les baux commerciaux.
Or, il s'avère que, tant avant cette correspondance, laquelle était imposée par les délais stricts de réponse prévus à la loi sur les baux commerciaux, à savoir dans les trois mois de la lettre du 30 août 2012 sollicitant le renouvellement, que postérieurement à la correspondance du 4 septembre 2012, le bailleur avait mis l'immeuble et le rez-de-chaussée commercial en vente et que, par lettre du 9 juillet 2012, une agence immobilière, mandatée par le bailleur, demandait au preneur s'il souhaitait acquérir le rez-de-chaussée commercial.
Le Tribunal constate, en outre, que le bailleur a également divisé l'immeuble avec le projet de vendre chacun des appartements séparément. Il souhaitait également transformer le rez-de-chaussée commercial en un appartement deux chambres avec, à l'arrière, un étage supplémentaire avec un escalier conduisant à une salle de bain et une chambre supplémentaire.
Pour ce faire, le bailleur indiquait que des travaux devaient être réalisés au niveau du toit, des châssis et des parements et que la réalisation de ces travaux augmenterait la valeur de l'immeuble et relancerait l'intérêt des candidats acquéreurs. Il prétendait également avoir accepté d'affecter une partie importante du produit de la vente d'un des appartements sur un compte spécifique conformément au souhait de la banque appelée à financer les travaux projetés.
En l'espèce, le Tribunal constate toutefois que le bailleur ne dépose aucune pièce relative à ce compte spécifique et au montant qui aurait été bloqué.
Par ailleurs, le Tribunal soulève le fait que bien que le bailleur indique qu'il a besoin d'un crédit total pour réaliser les travaux, il ne prouve pas qu'il aurait obtenu ce crédit.
Par conséquent, le Tribunal estime qu'au regard de l'ensemble des éléments soumis à son appréciation, le motif de refus de renouvellement du bailleur n'est ni sincère, ni réalisable. En effet, il apparait qu'à la veille de la fin du bail en cours, le bailleur a vendu les étages supérieurs de l'immeuble, n'a pas introduit de demande de permis d'urbanisme pour la réalisation des travaux vantés et ne prouve pas la faisabilité du projet ni davantage la façon dont il a la possibilité de le financer alors que le coût des travaux semble avoisiner la valeur du rez-de-chaussée, de sorte qu'on peut en déduire que sa volonté de réaliser des travaux de reconstruction n'est pas sincère et réalisable.
Le Tribunal déclare donc le motif de refus de renouvellement non fondé et décide que le bail commercial sera renouvelé pour une période de neuf ans à l'échéance du 31 décembre 2013, soit à partir du 1er janvier 2014.
Bon à savoir
Il découle de l'article 16.I, 3°, de la loi sur les baux commerciaux, que le bailleur peut refuser au preneur le droit au renouvellement du bail en raison de sa volonté de reconstruire l'immeuble ou la partie de l'immeuble dans laquelle le preneur sortant exerce son activité 2. Est réputée reconstruction, toute transformation précédée d'une démolition, affectant toutes deux le gros-œuvre des locaux et dont le coût dépasse trois années de loyer.
Dans ce cas, le bailleur devra toutefois verser au preneur une indemnité égale à un an de loyer sauf si la démolition ou la reconstruction de l'immeuble ont été rendues nécessaires par son état de vétusté, par la force majeure ou par des dispositions légales ou réglementaires 3.
Par ailleurs, il se déduit de l'article 25 de la loi sur les baux commerciaux que le bailleur doit réaliser les travaux dans les six mois et endéans les deux ans 4. A défaut de quoi, le preneur a droit à une indemnité de trois ans de loyer, éventuellement majorée des sommes suffisantes pour assurer une réparation intégrale du préjudice causé.
En outre, lorsque la volonté de reconstruction exprimée par le bailleur s'avère non sincère ou irréalisable, le juge peut rejeter le refus de renouvellement du bail opposé par le bailleur 5. Il en découle que lorsque le preneur du bail le soutient, le juge ne peut s'abstenir d'examiner si le motif invoqué par le bailleur n'était pas dénué de toute sincérité 6.
Par ailleurs, une fois interpellé sur la sincérité ou la faisabilité du motif invoqué, le bailleur doit collaborer loyalement à l'information du preneur et donner au juge les renseignements nécessaires à la solution du litige 7.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Civ. Verviers, 18 décembre 2013, J.L.M.B., 2015/18, p. 836.
2. Article 16.I, 3° de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux.
3. D. Janssen « Les péripéties du renouvellement du bail » in Le bail commercial, La Charte, Bruxelles, 2008, p. 363.
4. Article 25 de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux ; Civ. liège, 12 mars 165, J.T., 1965, p. 542.
5. Cass., 31 janvier 1975, Pas., 1975, I, p. 566.
6. Cass., 26 avril 2007, R.G. C.06.0440.F.
7. R. Hardy, « Le contrôle de la sincérité des motifs invoqués », in Actualités en droit du bail, UB3, Bruylant, 2010, p. 50.