Présentation des faits 1
Pendant plus d’une dizaine d’années, un comptable a accompli pour le compte d’un client diverses prestations comptables et fiscales, tenant essentiellement à la tenue de la comptabilité, à l’établissement des déclarations à la TVA et à l’impôt des personnes physiques. Ce client exploitait un commerce d’articles de pêche et de chasse, ainsi que, pendant un temps limité, une activité complémentaire de marchand de biens immobiliers.
Devant l’inertie de son client, le comptable lui adressa un rappel portant sur onze factures impayées. Le client contesta les sommes réclamées, au motif que la comptabilité et les déclarations dressées par le comptable étaient constellées d’erreurs ayant entraîné la débition d’intérêts de retard, d’amendes administratives adressées par l’administration de la TVA et de poursuites devant la chambre de dépistage des faillites.
Le désaccord entre les parties fut soumis au tribunal de commerce de Charleroi. Le jugement rendu n’allant pas dans le sens du comptable, celui-ci interjeta appel de la décision.
Décision de la Cour d’appel de Liège
Devant la juridiction d’appel, le comptable réclame le paiement des prestations qu’il a fournies. Son client, quant à lui, demande des dommages et intérêts pour le préjudice subi à cause des fautes imputées au comptable.
Dans son arrêt, la Cour précise que le nœud du litige n’est pas la détermination du prix réclamé par le comptable du chef de ses prestations, dont la réalité et l’importance ne sont pas contestées ; mais dans l’appréciation du bien-fondé de l’exception d’inexécution soulevée par le client suite aux manquements qu’il impute au comptable dans la prestation de ses services. Manquements dont il poursuit la réparation.
La Cour poursuit en constatant que le client n’apporte pas la preuve des manquements reprochés au comptable. Au surplus, en s’abstenant de toute réclamation pendant la période visée par les factures litigieuses et en continuant à confier régulièrement à l’appelante des tâches comptables et fiscales alors qu’il était en mesure de critiquer les travaux du comptable ; le client a invoqué l’exception d’inexécution dans des conditions contraires à la bonne foi.
Qu’à supposer même que soit établie l’existence des manquements dans le chef du comptable, il reste que, ni la consistance, ni l’importance de pareil préjudice, ne sont déterminables. De sorte qu’ils ne justifient pas l’inexécution temporaire de ses propres obligations par le client. En conséquence, la Cour fait droit à la demande du comptable.
Bon à savoir
L’exception d’inexécution est un mécanisme propre aux rapports synallagmatiques, généralement issus de contrats, dans lesquels chacune des parties a la charge d’exécuter une ou plusieurs obligations. Ce mécanisme autorise une partie au contrat à suspendre l’exécution de ses propres obligations en raison de la défaillance préalable de son cocontractant 2.
Pour être accueillie, cette exception exige la réunion de plusieurs conditions. Les obligations des parties doivent être exécutées trait pour trait 3, c’est-à-dire qu’elles sont exigibles en même temps. Ensuite, la créance de celui qui invoque l’exception doit être certaine quant à son existence et exigible, sans qu’il soit toutefois requis qu’elle soit liquide. Il faut encore que la défaillance soit imputable à l’autre cocontractant et que l’exception d’inexécution ne soit pas invoquée dans des conditions contraires à la bonne foi. Enfin, il revient au juge d’apprécier si les manquements invoqués justifient l’inexécution temporaire de ses propres obligations par celui qui s’en prévaut 4.
Dans le cas d’espèce, plusieurs conditions ne sont pas réunies. Outre la question de l’imputabilité, il ressort du cas d’espèce que, tant l’importance du préjudice prétendument subi par le client 5, que l’attitude de ce dernier, empêchent que l’exception d’inexécution soit valablement invoquée. Un cocontractant qui s’abstient d’émettre des reproches à l’encontre de l’autre partie pour les manquements qu’elle commet ne peut, par après, se prévaloir de bonne foi de l’exception d’inexécution. Il ne s’agit en effet pas d’un comportement correspondant aux normes objectives à respecter dans pareil cas 6.
_______________
1. Appel Mons, 16 décembre 1996, J.T., 1997/22, p. 436.
2. Cass., 14 mars 1991, Pas., 1991, I, p. 652.
3. P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, t. I, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 860.
4. S. Stijns, D. Van Gerven et D. Wéry, « Chronique de jurisprudence - Les obligations : les sources (1985-1995) », J.T., 1996, p. 689, n° 158 à 161.
5. Cass., 15 juin 1981, Pas., 1981, I, p. 1179.
6. P. Van Ommeslaghe, op. cit., p. 865.