Présentation des faits 1
Deux personnes, A et B, sont admises au règlement collectif de dette par un jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du 25 septembre 2007 et un médiateur est désigné dans le cadre de cette procédure.
Par un jugement du 16 septembre 2010, le tribunal homologue un plan de règlement amiable prévoyant une répartition au marc le franc et une remise du solde éventuel des créances encore dues. Parmi les créances reprises dans le plan de règlement amiable, se trouve une créance alimentaire du Secal (service des créances alimentaires) d'un montant de 1.721,77 euros en principal.
Or, il s'avère que A et B étaient bénéficiaires d'un remboursement d'impôt de 2.184,86 euros. L'administration fiscale du Secal décide, en conséquence, de compenser la créance de 1.721,77 euros avec le remboursement d'impôt de 2.184,86 euros dont elle est redevable à A et B.
Le médiateur de dettes conteste cette compensation au motif que l'administration fiscale ne peut compenser sa créance, laquelle est antérieure à l'ouverture de la procédure de règlement collectif de dettes et reprise dans le plan amiable, avec le crédit d'impôt, né d'une activité professionnelle du débiteur après cette date puisqu'aucun lien étroit de connexité ne peut être constaté entre les deux.
Le tribunal du travail donne raison au médiateur de dette. L'administration du Secal fait appel. En appel, la Cour du travail suit le raisonnement du premier juge. L'administration décide en conséquence de se pourvoir en cassation.
Décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation rappelle qu'aux termes de l'article 334, alinéa 1er, de la loi-programme du 27 décembre 2004, « toute somme à restituer ou à payer à une personne, soit dans le cadre de l'application des lois d'impôts qui relèvent de la compétence du service public fédéral des Finances ou pour lesquelles la perception et le recouvrement sont assurés par ce service public fédéral, soit en vertu des dispositions du droit civil relatives à la répétition de l'indu, peut être affectée, sans formalités et au choix du fonctionnaire compétent, au paiement des sommes dues par cette personne en application des lois d'impôts concernées ou au règlement de créances fiscales ou non fiscales dont la perception et le recouvrement sont assurés par le service public fédéral des Finances par ou en vertu d'une disposition ayant force de loi » 2. Cette affectation est toutefois limitée à la partie non contestée des créances à l'égard de cette personne.
Par ailleurs, la loi prévoit que cette disposition reste applicable en cas de saisie, de cession, de situation de concours ou de procédure d'insolvabilité.
Il résulte en effet des travaux préparatoires de la loi-programme qu'en vue de résorber l'arriéré fiscal, l'article 334 a entendu étendre la possibilité pour l'État d'opérer une compensation, après concours, entre des créances qu'il détermine, sans égard à l'existence ou non d'un lien de connexité entre ces créances.
Par ailleurs, la Cour de cassation relève qu'il ne ressort pas de cette disposition que celle-ci exige que les créances en cause existent toutes deux avant la survenance du concours pour que l'administration fiscale puisse procéder à la compensation.
Par conséquent, la Cour décide que l'arrêt, qui considère que l'article 334 de la loi-programme du 27 décembre 2004 n'a pas pour effet d'autoriser la compensation entre une créance du Secal née avant l'admissibilité du débiteur à la procédure en règlement collectif de dettes et les crédits fiscaux qui doivent lui être remboursés en raison d'une activité professionnelle exercée par le débiteur après la décision d'admissibilité, viole l'article 334 alinéa 1er de la loi-programme du 27 décembre 2004.
La Cour casse donc l'arrêt de la Cour du travail.
Bon à savoir
La décision d'admissibilité au règlement collectif de dette fait naître une situation de concours entre les créanciers, laquelle a pour conséquence, la suspension du cours des intérêts et l'indisponibilité du patrimoine du débiteur 3. L'existence de cette situation de concours impose, en outre, de respecter le principe de l'égalité entre les créanciers, consacré par les articles 7 et 8 de la loi hypothécaire.
En conséquence, une fois la situation de concours survenue, toute compensation entre créances et dettes, est en principe exclue, et ce, par application de l'article 1298 du Code civil 4, à moins que les conditions de la compensation légale n'aient été réunies avant que la situation de concours ne se réalise 5. Toutefois, la compensation reste possible malgré l'existence d'un concours, lorsqu'il existe entre les dettes réciproques une étroite connexité et ce, même si les conditions de la compensation n'ont été remplies que postérieurement à la naissance du concours 6.
L'article 334 de la loi-programme du 27 décembre 2004 déroge, cependant, à l'article 1298 du Code civil, en ce qu'il permet à l'administration fiscale de procéder à la compensation après la survenance du concours et ce, même entre des dettes qui ne sont pas connexes.
Selon les travaux préparatoires à la loi, l'intention du législateur était de résorber l'arriéré fiscal et d'assurer une meilleure perception des impôts. La disposition en cause instaure donc une compensation entre des créances ou des dettes relevant de l'administration des contributions directes et des créances ou des dettes relevant de l'administration de la taxe sur la valeur ajoutée. La loi du 22 décembre 2008 a, par la suite, généralisé ce système de compensation de dettes à l'ensemble des impôts ou des créances non fiscales dont la perception et le recouvrement sont assurés par le service public fédéral des Finances 7. L'extension vise notamment, le recouvrement des avances accordées par le service des créances alimentaires.
Par ailleurs, le législateur a expressément voulu que cette règle s'applique en cas de concours en prévoyant spécialement que la compensation après concours serait aussi possible entre les créances qui ne sont pas connexes.
La question de savoir si le législateur a également entendu déroger à la condition que les créances à compenser sur les dettes soient nées avant le concours fait, quant à elle, l'objet de divergence entre la chambre néerlandophone et la chambre francophone de la Cour de cassation 8.
En effet, par un arrêt du 24 juin 2010, la première chambre néerlandophone de la Cour de cassation avait décidé que l'article 334 de la loi-programme valait uniquement pour les créances qui sont nées avant le concours, avec pour conséquence, que la disposition ne permettait, dès lors, pas de compensation entre une créance fiscale née avant le concours et les crédits fiscaux qui doivent être remboursés en raison des opérations commerciales poursuivies après la naissance du concours 9.
A contrario, dans l'arrêt précité du 31 mars 2014, la troisième chambre francophone de la Cour de cassation a adopté une solution inverse à celle retenue par la première chambre néerlandophone. En effet, la Cour a indiqué qu'il ne ressortait pas de l'article 334 que celui-ci exigeait que les créances en cause existent l'une et l'autre avant la survenance du concours. Il en résulte que la Cour a considéré qu'une compensation pouvait avoir lieu entre la créance du fisc, plus précisément du Secal, antérieure à l'ouverture du concours, et les crédits fiscaux qui trouvent leur origine dans une activité professionnelle du débiteur postérieure à la naissance du concours 10.
Cet arrêt semble confirmer la position de la Cour constitutionnelle, laquelle a notamment décidé que l'article 334 ne violait pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il autorise la compensation entre une dette fiscale née avant la faillite et une créance fiscale découlant d'une nouvelle activité exercée par le failli entre le jugement déclaratif de la faillite et la clôture de celle-ci 11.
Il en résulte, qu'à l'heure actuelle, il semblerait que la jurisprudence a tendance à autoriser la compensation en matière fiscale non seulement quand les dettes ne seraient pas connexes mais également quand l'une d'entre elles serait postérieure à la survenance d'une situation de concours.
Dans un souci de sécurité juridique, il serait toutefois souhaitable qu'un arrêt de la Cour de cassation, rendu en audience plénière vienne confirmer l'arrêt rendu par la 3ème chambre francophone de la Cour de cassation.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cass., 31 mars 2014, J.L.M.B., 2015/12, p. 536.
2. Article 334 al. 1er de la loi-programme du 27 décembre 2004.
3. Article 1675/7, § 1er du Code judiciaire.
4. Article 1298 du Code civil.
5. M. Forges, S. Menschaerts, « Compensation », in Obligations. Traité théorique et pratique, Bruxelles, Kluwer, 2014, p. V.2.2 – 12.
6. Voy. P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, Bruylant, Bruxelles, 2011, p. 2167.
7. Article 194 de la loi programme du 22 décembre 2008.
8. F. Georges, « Nouvelle perturbation en matière de compensation fiscale », J.L.M.B., 2015/12, p. 540.
9. Cass, 24 juin 2010, Tijds. G.R., 2010, p. 265.
10. Cass., 31 mars 2014, J.L.M.B., 2015/12, p. 536.
11. C.C., 13 décembre 2012, arrêt n° 151/2012.