Présentation des faits1
Une société acquiert, au cours de l'exercice d'imposition 1996, un immeuble bâti pour une valeur totale de 14 millions de francs belges. La valeur du terrain est estimée à 20% du prix global, soit 2.800.000 BEF. La totalité des droits d'enregistrement s'élèvent à 1.773.000 BEF.
La société active 14.000.000 BEF en compte 222100 « Bâtiment» et acte des amortissements sur la partie bâtiment (11.200.000 BEF x 5%, soit 560.000 BEF). En outre, elle prend directement en charge l'ensemble des droits d'enregistrement via le compte 640110 « Droits d'enregistrement ».
Par la suite, l'administration fiscale estime qu'il y a sous-estimation d'actif à concurrence des droits d'enregistrement afférents au terrain, soit 354.600 BEF, lesquels devaient être intégrés au prix d'acquisition du terrain. La société introduit une réclamation auprès du directeur régional des contributions directes qui rejette celle-ci. La société introduit un recours contre cette décision devant le tribunal de première instance.
Décision du Tribunal de première instance de Bruxelles
Le Tribunal rappelle que l'article 28 § 3, de l'arrêté royal du 8 octobre 1976 (actuellement l'article 61, § 2, de l'arrêté royal portant exécution du Code des sociétés) prévoit que les immobilisations corporelles dont l'utilisation n'est pas limitée dans le temps ne font l'objet de réduction de valeur qu'en cas de moins-value ou de dépréciation durable.
En ce qui concerne les droits d'enregistrement afférents à l'acquisition de terrains, la Cour d'appel de Bruxelles dit qu'il s'agissait de frais engagés de manière unique et immédiatement perdus une fois l'achat effectué, de sorte qu'ils doivent donc être considérés immédiatement, et pour le tout, comme charges professionnelles. Ces frais accessoires constituent une non-valeur, qui doit disparaître au plus tôt de l'actif du bilan puisqu'ils constituent un poste du bilan non représentatif d'une valeur patrimoniale.
Selon la Cour de cassation, les règles comptables n'empêchent pas qu'en matière de terrains qui font partie des immobilisations de l'entreprise et qui ne sont pas susceptibles d'amortissements, il soit procédé au moment de l'acquisition à une correction du prix d'acquisition. Il résulte de cette jurisprudence que les réductions de valeur sur terrain comptabilisées au terme de l'exercice comptable de l'acquisition et relatifs aux frais accessoires d'acquisition doivent être considérées comme fiscalement déductibles, nonobstant l'absence d'éléments de fait justifiant au cas par cas la dépréciation effective du bien immobilisé.
Il s'en déduit que les droits d'enregistrement afférents à l'acquisition de terrains constituent des « non-valeurs » dès lors qu'ils peuvent faire l'objet d'une réduction de valeur immédiate et indépendamment de tout élément de fait permettant de justifier une dépréciation effective.
Interpréter l'article 21 de l'arrêté royal comptable (actuel article 36 de l'arrêté d'exécution du Code des sociétés) comme imposant à un contribuable d'activer des frais accessoires qui constituent, dès l'origine, une non-valeur, reviendrait à méconnaître les principes de base qui régissent l'établissement d'une comptabilité et qui sont motivés par le fait que le bilan doit être représentatif de la valeur réelle de la société, notamment en vue d'assurer la sécurité des tiers. Une telle interprétation méconnaîtrait en particulier l'actuel article 24 de l'arrêté royal d'exécution du Code des sociétés.
En n'activant pas au titre de frais accessoires des frais qui constituent une non-valeur, la société n'a pas méconnu la réglementation comptable. Ces frais, s'ils répondaient aux conditions requises par l'article 49 du C.I.R. 1992, étaient déductibles du bénéfice imposable de la société.
Le tribunal ordonne donc de recalculer la cotisation à l'impôt des sociétés pour l'exercice d'imposition 1996 en admettant la déductibilité fiscale des droits d'enregistrement afférents à l'acquisition de terrains pour un montant de 354.600 BEF.
Bon à savoir
Les bénéfices imposables des entreprises sont déterminés conformément aux règles du droit comptable2. Pour qu'une dépense soit déductible à titre de frais professionnels, trois conditions doivent être simultanément remplies.
Premièrement, il faut que la dépense ou dette n'entraîne pas un accroissement d'actif équivalent ou une diminution de dettes équivalente. La dépense doit donc être faite à fonds perdu, c'est-à-dire qu'elle doit diminuer le bénéfice brut3. L'article 52 du Code d'impôt sur les revenus (C.I.R.) 1992 donne une liste d'exemples de dépenses à fonds perdu déductibles.
Deuxièmement, s'il s'agit d'une dépense volontaire, il faut qu'elle ait été faite en vue d'acquérir ou de conserver des revenus, c'est-à-dire qu'elle ait un but intéressé4. Enfin, les frais doivent avoir été faits ou supportés pendant la période imposable. Sont considérés comme ayant été faits ou supportés pendant la période imposable, les frais qui, pendant cette période, sont effectivement payés ou supportés ou qui ont acquis le caractère de dettes ou pertes certaines et liquides et qui sont comptabilisés comme telles5.
A cet égard, les frais d'enregistrement relatifs à l'acquisition d'un terrain constituent des frais engagés de manière unique et immédiatement perdus une fois l'achat effectué6. Ces frais constituent donc une non-valeur puisqu'elle constitue un poste du bilan non représentatif d'une valeur patrimoniale7.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 juin 2003, a d'ailleurs admis que les personnes physiques peuvent déduire, à titre de frais professionnels, les frais accessoires liés à l'acquisition du terrain affecté à leur exploitation, qui n'ont reçu aucune contre-valeur dans leur patrimoine et qui ne peuvent faire l'objet d'amortissement et ce, en application de l'article 49 du C.I.R. 19928.
Il faut déduire de cet arrêt que la Cour de cassation considère que les droits d'enregistrement afférents à l'acquisition d'un terrain constituent une dépense faite à fonds perdu, soit une non-valeur. Par conséquent, il serait déraisonnable et contraire aux principes de prudence et de sincérité qui régissent la comptabilité des entreprises d'imposer à une entreprise d'activer une « non-valeur » puisque le bilan est censé être représentatif de la valeur réelle de la société, notamment en vue d'assurer la sécurité des tiers9.
Certes, l'article 36 de l'arrêté royal d'exécution du Code des sociétés prévoit que les frais accessoires font partie du prix d'acquisition et doivent, dès lors, être activés pour éventuellement faire l'objet, ultérieurement, d'une réduction de valeur en cas de dépréciation durable. Cette disposition ne s'applique toutefois pas aux frais accessoires qui constituent, dès l'origine, une non-valeur, tels que les droits d'enregistrement10.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Civ. Bruxelles, 21 septembre 2007, R.G.C.F., 2007/6, p. 483.
2. Cass., 20 février 1997, Pas., 1997, I, n°100.
3. J. Kirkpatrick et D. Garabedian, Le régime fiscal des sociétés en Belgique, Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 164.
4. Article 49 du Code d'impôts sur les revenus 1992.
5. Article 49 alinéa 2 du Code d'impôts sur les revenus 1992.
6. Bruxelles, 10 mai 2006, R.G. n° 02/AR/1297.
7. Liège, 9 décembre 2005, R.G. n° 2005-RG-207.
8. Cass., 12 juin 2003, Arr. Cass. 2003/ 6-8, p. 1370.
9. Article 24 de l'arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution du code des sociétés.
10. Civ. Bruxelles, 21 septembre 2007, R.G.C.F., 2007/6, p. 483.