Présentation des faits 1
La société E est assujettie à la TVA et a participé à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée dans laquelle une livraison intracommunautaire et ensuite une acquisition intracommunautaire ont été simulées alors qu’il s’agissait en réalité d’une livraison nationale. Le but était d’éviter un financement en amont de la taxe sur la valeur ajoutée.
L’assujetti se trouvant privé du droit de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée payée sur l’acquisition intracommunautaire fictive a introduit une procédure en justice. Il estime qu’il y a violation du principe de neutralité de la TVA.
Pour finir, la société E s’est pourvue en cassation contre le jugement d’appel qui a décidé que le demandeur, savait, ou à tout le moins devait savoir, qu’il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée et qu’il ne peut dans ce cas invoquer une quelconque violation du principe de neutralité.
Décision de la Cour de cassation
Pour rendre sa décision, la Cour de cassation reprend différents arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne.
En effet, dans un premier arrêt du 6 juillet 2006 2, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé qu’en cas de fraude ou d’abus, les justiciables ne peuvent se prévaloir des normes communautaires, de sorte que l’administration fiscale, lorsqu’elle constate que le droit à déduction a été exercé de manière frauduleuse, est habilitée à demander le remboursement des sommes déduites et il appartient au juge national de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement.
Dans un second arrêt du 27 septembre 2007, la Cour de justice de l’Union Européenne a décidé que, lors de l’examen du droit à l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée, le juge national ne doit prendre en considération le fait que l’assujetti a dissimulé, dans un premier temps et en pleine connaissance de cause, l’existence d’une livraison intracommunautaire que s’il existe un risque de perte de recettes fiscales et si celui-ci n’a pas été complètement éliminé par l’assujetti. 3
La Cour de cassation considère qu’au regard de ces jurisprudences, le principe de neutralité en matière de taxe sur la valeur ajoutée tel qu’il se retrouve dans les articles 17, 18 et 22 de la Sixième Directive applicable en l’espèce, ne s’oppose pas à ce que dans un cas où l’assujetti a participé à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, l’assujetti soit privé du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée payée sur l’acquisition fictive sans que la taxe sur la valeur ajoutée payée sur la même acquisition doive être remboursée, même s’il n’existait aucun risque de perte de recettes fiscales dès lors qu’après la découverte de la fraude, le vendeur a acquitté la taxe sur la valeur ajoutée sur la livraison nationale.
Par conséquent, la Cour rejette le pourvoi le considérant comme non-fondé.
Bon à savoir
Les articles 17, 18 et 22 de la sixième Directive reprennent le principe de neutralité de la TVA.
Sur base de la neutralité économique de la TVA 4, on ne taxe que la « valeur ajoutée », à savoir, la différence entre le produit des ventes et le coût des consommations intermédiaires facturées. Ainsi, les assujettis à la TVA jouent auprès de leurs clients le rôle de collecteur d'impôt pour le compte de l'État, sans que cette charge ne les touche personnellement, et ce, pour autant qu’ils aient un droit à déduction complet de la TVA.
Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible 5. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire la taxe dont il est redevable. 6
Cela étant, pour pouvoir exercer le droit à déduction, l'assujetti doit, selon les cas, détenir une facture, détenir un document constatant l'importation qui le désigne comme destinataire ou importateur et qui mentionne ou permet de calculer le montant de la taxe due ou encore, remplir les formalités qui sont établies par chaque État membre.
Il est utile de préciser que le principe de neutralité en matière de TVA ne s'oppose pas à ce que dans un cas où l'assujetti a participé à une fraude à la TVA dans laquelle une livraison intracommunautaire et ensuite une acquisition intracommunautaire ont été simulées alors qu'il s'agissait, en réalité, d'une livraison nationale, l'assujetti soit privé du droit à déduction de la TVA payée sur l'acquisition intracommunautaire fictive sans que la TVA payée sur la même acquisition doive être remboursée, et ce, même s'il n'existait aucun risque de perte de recettes fiscales. 7
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cass. (1re ch.) RG F.13.0095.N, 19 juin 2014 (E. / Belgische Staat), R.W. 2014-15, liv. 27, 1066.
2. C-439/04 et C-440/04, Kittel en Recolta Recycling.
3. C-146/05, Collée.
4. P. PREGARDIEN., « Le respect du principe de neutralité de la TVA et l'utilisation d'un bien immobilier à des fins économiques et à des fins privées », R.G.F. 2007, liv. 2, 15-28.
5. P. VAN HISSENHOVEN., « La limitation du droit à déduction: frais de réception vs. frais de publicité », Act. fisc. 2011, liv. 22, 5-7 et http://www.monkey.be/ (7 juin 2011).
6. S. VASTMANS, S. DE MAEIJER, et G. VRANCKX., « Base d'imposition - Taux de la T.V.A. - Exemptions - Déduction de la taxe », in Manuel de droit fiscal 2014-2015, p. 1405 et suivantes.
7. Voyez également : I. MASSIN., « Déduction TVA: des factures erronées peuvent-elles être rectifiées ? », Fiscologue 2013, liv. 1347, 8-10 et http://www.fiscologue.be/ (15 juillet 2013).