Présentation des faits 1
Une société d'avocats n'a pas souscrit dans les délais légaux sa déclaration fiscale à l'impôt des sociétés pour l'exercice d'imposition 1996.
Le 15 juillet 1997, le Contrôle des contributions a envoyé à la société une notification d'imposition d'office relative à l'exercice d'imposition 1996 manifestant son intention de retenir les revenus et autres éléments suivants :
« 1. Chiffre d'affaires déclaré en 1994 (exercice 1995) : 13.866.910 francs belges
2. Rémunérations attribuées en 1995 (exercice 1996) : 1.150.019 francs belges
3. Honoraires attribués en 1995 (exercice 1996) : 457.046 francs belges
Base imposable : 12.259.845 francs belges à taxer au taux plein »
Par courrier du 25 août 1997, un dirigeant de la société a contesté les chiffres figurant dans la notification d'imposition d'office et s'est engagé à transmettre son bilan au fonctionnaire taxateur « dès les prochains jours », ce qu'il ne fit jamais. Par conséquent, une cotisation à l'impôt des sociétés a été enrôlée le 6 octobre 1997 pour un montant de 5.700.000 francs belges, soit 141.310,04 euros.
Par lettre du 29 avril 1998, la société a introduit une réclamation contre la cotisation litigieuse, en y joignant ses comptes annuels arrêtés au 31 décembre 2005 et un relevé de ses dépenses non admises.
Lors de l'instruction de la réclamation, le fonctionnaire compétent a invité la société à apporter la preuve du chiffre exact de ses revenus, comportant à la fois celle du montant exact des revenus bruts et celle du montant exact des dépenses professionnelles déductibles. Il a également demandé à la société de lui produire la preuve du dépôt du bilan auprès de la Banque nationale, les comptes annuels (bilan, comptes de résultats, ...), la déclaration fiscale ainsi que la comptabilité complète, c'est-à-dire les journaux, les historiques des comptes généraux, les factures d'entrée et de sortie, les extraits bancaires, les pièces de caisse, ...
Par décision du 19 octobre 2000, le directeur régional des contributions directes a déclaré la réclamation non fondée à défaut pour la société d'avoir apporté la preuve du chiffre exact de ses revenus imposables. La société a introduit un recours contre cette décision.
En première instance, le tribunal a ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de déposer au greffe les comptes annuels de la société clôturés au 31 décembre 1994 et, d'une manière plus générale, tout document de nature à établir le chiffre d'affaires déclaré par la société pour l'exercice d'imposition 1995 (revenus 1994) (déclaration fiscale, avertissement-extrait de rôle,...).
Malgré cela, la société est restée en défaut de produire l'ensemble de sa comptabilité avec les pièces justificatives à l'appui. Par conséquent, le tribunal a déclaré son recours non fondé au motif que la société ne rapportait ni la preuve qu'elle aurait effectué des démarches ou engagé une procédure judiciaire pour récupérer ses documents comptables auprès de son ancien comptable, ni la preuve qui lui incombe du chiffre exact de ses revenus imposables.
La société a fait appel de cette décision.
Décision de la Cour d'appel de Mons
La société d'avocats estime que la taxation d'office à laquelle l'administration fiscale a procédé revêt un caractère arbitraire dès lors que celle-ci n'a pas retenu, parmi les dépenses professionnelles déductibles, des charges comptabilisées à différents postes, tels des amortissements de matériel, des aménagements et du matériel roulant, des intérêts d'un crédit automobile de ce véhicule, les loyers provenant de la location de l'immeuble professionnel et du mobilier, les frais d'eau, de gaz et d'électricité, les frais de téléphonie, les cotisations patronales de sécurité sociale ainsi que les primes d'assurances contre les accidents du travail admises au cours des exercices d'imposition. Or, de tels frais avaient été pris en considération lors des exercices d'imposition précédents.
A cet égard, la Cour constate que les lacunes affectant l'établissement de la comptabilité de l'exercice d'imposition litigieux rendent impossible un contrôle effectif de celle-ci, de sorte que l'administration était en droit de procéder à une imposition d'office.
En l'espèce, cette taxation est toutefois arbitraire dès lors que l'administration fiscale a négligé de déterminer un montant raisonnable de frais professionnels propres à l'exercice de la profession d'avocat dont la réalité ne peut être contestée dans un cadre sociétaire, tels ceux cités entre autre ci-dessus, et qui auraient pu être établis par un examen des déclarations (fussent-elles tardives) et des comptes annuels rentrés au cours des exercices d'imposition antérieurs.
A cet égard, l'article 49 du Code d'impôt sur les revenus (C.I.R.) 1992 qui prévoit les conditions générales de déduction des frais professionnels, est sans effet sur l'appréciation du caractère arbitraire ou non de la taxation d'office.
La cotisation litigieuse ayant été enrôlée de manière arbitraire, la Cour ordonne son annulation.
Bon à savoir
L'article 351 du C.I.R. 92 dispose que lorsque le contribuable n'a pas fait de déclaration régulière, que les imperfections de forme n'ont pas été réparées dans le délai accordé, qu'il n'a pas remis les pièces justificatives demandées, qu'il n'a pas produit à temps les renseignements demandés ou qu'il n'a pas répondu à temps à l'avis de rectification de la déclaration, l'administration fiscale peut procéder à la taxation d'office 2.
Elle peut donc, dans ce cas, procéder immédiatement à l'imposition sur la base des éléments dont elle a connaissance 3.
L'administration doit toutefois motiver la notification de l'imposition d'office, ce qui implique qu'elle communique, par lettre recommandée, les motifs pour lesquels elle recourt à cette procédure, ainsi que le montant des revenus, les autres données sur lesquelles l'imposition est établie et la manière dont ces revenus ont été déterminés 4.
L'administration doit cependant utiliser les éléments dont elle dispose de manière raisonnable à défaut de quoi, l'imposition d'office sera considérée comme arbitraire et donc nulle 5.
A cet égard, il a été considéré qu'une imposition d'office est arbitraire lorsque l'administration n'a pas examiné sérieusement les pièces qui lui ont été transmises et ne les a même pas prises en considération 6. Il en est de même lorsque, dans la taxation d'office, les frais professionnels réels ont été remplacés par le forfait légal 7 alors qu'il auraient pu être établis par un examen des déclarations (fussent-elles tardives) et des comptes annuels rentrés au cours des exercices d'imposition antérieurs 8.
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1. Mons, 9 mai 2014, J.L.M.B., 2015/20, p. 947.
2. Article 351 du Code d'impôt sur les revenus (C.I.R.) 92.
3. D. Nore, F. Smets, B. De Cock, I. Vandenbrouck, L., Cassimon, C. Verwee,, B. Van Vlierden, « Impôt des personnes physiques. Procédure] Imposition - Recours administratif, dégrèvement d'office et actions en justice - Recouvrement – Sanctions », in Manuel de droit fiscal 2014-201, Kluwer, Malines,2014, p. 832.
4. Anvers, 2 janvier 1996, F.J.F., N° 96/7.
5. Anvers, 23 décembre 2008, Fiscologue, 2009, n° 1181, 13.
6. Bruxelles, 24 mars 1987, R.W., 1987-1988, 363.
7. Liège, 24 décembre 1997, F.J.F., N° 98/107.
8. Mons, 9 mai 2014, J.L.M.B., 2015/20, p. 947.