Présentation des faits 1
Madame et Monsieur M. sont les fondateurs d’une S.A. qui a été constituée le 30 décembre 1993.
La faillite de la S.A. a été prononcée par jugement du Tribunal de commerce de Charleroi le 27 novembre 1995, soit moins de deux ans après la constitution de la société.
Le curateur a introduit une action originaire visant à ce que Madame et Monsieur M., en leur qualité de fondateurs, soient condamnés à verser une somme de 2.635.552 francs, représentant le capital complémentaire que les fondateurs auraient dû libérer à l’estime du curateur. De plus, le curateur a demandé au juge que Monsieur M. soit condamné sur pied de l’article 63ter des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, à combler le passif de la société et à payer de ce chef la somme de 10.000.000 de francs à titre provisionnel.
Il est utile de préciser que, dans le cadre de ce litige, Monsieur E., expert-comptable, a été chargé par le curateur d’examiner la comptabilité de la société faillie et de dresser rapport quant aux éventuelles responsabilités des fondateurs et de l’administrateur délégué.
Le premier juge a condamné solidairement Madame et Monsieur M. au paiement de la somme de 2.652.252 francs majorée des intérêts et a réservé à statuer quant à la demande dirigée contre Monsieur M.
Madame et Monsieur M. ont fait appel de ce jugement reprochant au juge d’avoir eu égard au rapport unilatéral émanant du conseil technique (l’expert-comptable E.) du curateur alors qu’il ne peut, selon eux, valablement leur être opposé.
Décision de la Cour d’appel de Mons
La Cour constate que le premier juge a estimé pouvoir retenir le rapport dressé par l’expert-comptable à titre de présomption aux motifs qu’il avait été communiqué aux appelants et débattu lors de réunions tenues en leur présence, que l’expert E. avait rencontré les appelants et leur expert-comptable, Monsieur L. pour dresser ses constatations et que les appelants se bornent à taxer les constatations de l’expert de peu de sérieux et de partialité sans apporter la moindre critique étayée et justifiée de l’analyse de ce dernier.
La Cour rappelle que la valeur probante attachée à un rapport d’expertise résulte du fait qu’il est établi contradictoirement par un expert indépendant et impartial.
L’indépendance se traduit dans le mode de désignation de l’expert. Dans une procédure contradictoire, celui-ci est désigné soit de commun accord entre parties, soit par le juge, de l’accord des parties ou d’office. Quant à l’impartialité, elle doit s’entendre aussi bien de l’impartialité subjective que de l’impartialité objective en ce sens qu’il faut conclure à un risque de partialité en la présence d’indices objectifs pouvant faire craindre un manque d’impartialité.
La Cour constate que le curateur de faillite est rémunéré en proportion de l’actif réalisé de sorte qu’il est personnellement intéressé à l’aboutissement favorable d’une procédure en comblement de passif par lui dirigée contre les fondateurs et administrateurs d’une société en faillite.
La Cour précise que l’expert-comptable, qui a donc pour client le curateur, a intérêt à ce que ce dernier soit satisfait de ses services en vue d’obtenir, le cas échéant, de nouvelles missions dans d’autres mandats de justice.
Dès lors, la Cour considère que l’on peut objectivement craindre que le rapport d’un tel conseil technique soit orienté essentiellement “à charge” des fondateurs et administrateurs, adversaires du curateur de faillite, en vue de permettre à ce dernier d’intenter utilement un procès contre eux.
Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le conseil technique unilatéralement mandaté par un curateur, ne présente pas de garanties objectives d’indépendance et d’impartialité.
Toutefois, la reconnaissance par les appelants, dans leurs conclusions, de l’exactitude de certaines mentions contenues dans le rapport du conseil technique, peut être prise en considération comme constituant un commencement de preuve par écrit lorsque le fait allégué est ainsi rendu vraisemblable. 2
Dans les pièces du dossier, la Cour constate que Madame et Monsieur M. admettent une insuffisance de capitalisation que l’on peut fixer à la somme de 1.137.352 francs. Ce commencement de preuve par écrit est complété par une présomption consistant dans le fait que leur propre comptable, a également reconnu l’exactitude de ces erreurs.
Ainsi, la Cour condamne solidairement les appelants à payer au curateur la somme provisionnelle de 1.137.352 francs outre les intérêts judiciaires et, pour le surplus, de désigner un expert.
Bon à savoir
Lorsqu’un litige porte sur un problème technique, il arrive fréquemment que l’une des parties produise au débat un rapport établi par son conseiller technique.
Le rapport d’expertise unilatéral joue un rôle important étant donné que l’avis du technicien, même non contradictoire, pourrait donner du poids au constat réalisé. 3
Dans le cadre d’une procédure de faillite, le curateur est rémunéré en proportion de l'actif réalisé, de sorte qu'il est intéressé à l'aboutissement d'une procédure en comblement de passif dirigée contre les fondateurs et administrateurs d'une société en faillite.
Il arrive fréquemment que le curateur recourt aux lumières d'un expert-comptable, rémunéré sur les deniers de la faillite. 4
Or, l'expert-comptable a intérêt à ce que le curateur soit satisfait de ses services en vue d'obtenir, éventuellement, de nouvelles missions dans d'autres mandats de justice.
Dès lors, le conseil technique unilatéralement mandaté par un curateur ne présente pas de garanties objectives d'indépendance et d'impartialité.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Mons (12e ch.) 5 novembre 2001, J.T., 2002, liv. 6057, 438.
2. Cass. 6 juin 1975, Pas., 1975, I, 31.
3. D. MOUGENOT., « Le rapport d’expertise unilatéral », R.D.J.P., 2011, liv. 3, 116-118.
4. Voyez : F. ROGGEN., « Les règles juridiques de l’expertise », in Droit pénal et procédure pénale, Wolters Kluwer Belgium, 2015, 1-121.