Présentation des faits 1
Un homme exploitait en nom personnel une station-service. Il faisait appel aux services d'une société comptable dans le cadre de son activité.
Après quelques années, il décide de constituer, avec sa compagne, une SPRL ayant pour objet social la vente de combustibles tels que produits pétroliers, gaz et autres lubrifiants. Le plan financier accompagnant l'acte constitutif de cette société est établi par la société comptable. Ce plan financier porte sur les trois années qui suivent la constitution de la société et reprend, pour chaque exercice, un chiffre d'affaires espéré, le total des achats envisagés, ainsi qu'un détail de divers postes de frais généraux. Le plan laisse espérer un bénéfice net imposable pour ces trois années.
Cependant, la société est déclarée en faillite dès l'année qui suit celle de sa constitution. Dans le jugement déclaratif de faillite, le juge constate que le capital social était, lors de la constitution, manifestement insuffisant pour assurer l'exercice normal de l'activité projetée pendant une période de deux ans au moins. Les deux fondateurs sont donc condamnés à payer un montant important à la masse des biens de la société faillie.
Face à cette condamnation, l'un des fondateurs intente une action en responsabilité à l'encontre de la société comptable. Le premier juge l'ayant débouté de sa demande, il interjette appel.
Décision de la Cour d'appel de Bruxelles
La Cour commence par rappeler que préalablement à la constitution d'une SPRL, les fondateurs doivent remettre au notaire instrumentant un plan financier dans lequel ils justifient le montant du capital social de la société à constituer 2.
Ensuite, la Cour constate que le plan financier établi par la société comptable ne peut être considéré comme un bilan prévisionnel acceptable et encore moins fiable. Non seulement il ne contient pas les postes que l'on retrouve dans un bilan, notamment les ressources de la société, mais, en outre, il recèle une erreur grossière au niveau de la comptabilisation du loyer, annihilant tout le bénéfice escompté.
Par ailleurs, le plan financier se caractérise avant tout par son caractère lacunaire et il ne comprend pas le double volet destiné à concrétiser la réflexion des fondateurs sur l'équilibre minimum entre les besoins auxquels la société allait devoir faire face et les moyens qu'elle comptait mettre en œuvre dans ce but.
En ce sens, la Cour constate que la faute de la société comptable est suffisamment établie par le caractère lacunaire du plan financier et par l'absence de comptabilisation de la charge supplémentaire de loyer. En conséquence, la Cour réforme le jugement attaqué et condamne la société comptable à indemniser le fondateur pour les manquements qu'elle a commis.
Bon à savoir
L'établissement d'un plan financier suffisamment précis constitue pour les fondateurs une garantie contre tout jugement postérieur du tribunal qui devra statuer sur la responsabilité des fondateurs et sur le caractère suffisant du capital à sa constitution 3. Ce plan contient le budget d'investissement qui inclut notamment les dépenses de premier établissement comme les frais de constitution. Il s'agit toutefois pour l'essentiel des acquisitions d'équipement ou immobilisations. En bonne technique financière, il faut en principe les financer par des moyens propres et permanents. Il faut aussi inclure dans le plan un budget d'exploitation qui doit être étudié en fonction du chiffre d'affaires présumé. Ce budget évalue les recettes probables, les charges et les amortissements. L'excédent des capitaux circulants (stocks et créances) sur les dettes à court terme constitue le fonds de roulement. Le plan distinguera surtout les capitaux propres et les moyens empruntés. Pour les crédits obtenus, il faut préciser s'ils sont ou non à long terme, s'ils sont ou non dotés de sûretés puisées dans l'actif social et s'ils proviennent ou non des actionnaires eux-mêmes 4.
Le plan financier doit démontrer que le capital est suffisant, en ce sens qu'il doit en ressortir que la société ne devrait pas, au cours de ses deux premières années d'existence, être confrontée à une situation d'impasse de trésorerie qui l'amènerait à cesser ses paiements. Il ne suffit pas que les bilans prévisionnels fassent apparaître un actif net significatif, indice de solvabilité satisfaisante, si ces actifs sont immobilisés et si la société n'est pas suffisamment liquide pour échapper à l'impasse de la trésorerie 5.
La confection par un professionnel du chiffre d'un plan financier lacunaire et contenant des erreurs constitue un manquement grave à ses obligations professionnelles et déontologiques. Le client qui fait appel à un spécialiste doit légitimement pouvoir s'attendre à ce que ce dernier ait les connaissances suffisantes pour rédiger des documents complets, conformes aux exigences légales et comptables, exempts de toutes omissions et sans erreur. Le client peut engager la responsabilité de ce spécialiste s'il parvient à démontrer que ces manquements lui ont effectivement causé un préjudice 6.
Dans le cas d'espèce, le professionnel du chiffre avance qu'il ne disposait pas de toutes les informations nécessaires pour réaliser correctement sa mission. Cependant, il effectuait déjà des prestations pour l'un des fondateurs avant la constitution de la société déclarée en faillite. Il en avait dès lors une parfaite connaissance et pouvait aisément, sur la base des données qu'elle avait en sa possession, élaborer un plan financier correct. Par ailleurs, il devait se rendre compte que les données fournies étaient lacunaires et ne permettaient pas de dresser un plan financier permettant de justifier le capital social. Dans ces conditions il aurait dû, à tout le moins, s'abstenir de prêter son concours lors de la constitution de la société. Au contraire, en acceptant de rédiger ce plan, il lui conférait, eu égard à sa qualité de spécialiste, une apparence trompeuse de régularité.
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1. Appel Bruxelles, 7 novembre 2008, R.G. n° 2005/AR/1101.
2. Article 215 du Code des sociétés.
3. A. Coibon, « L'insuffisance manifeste du capital social à la lumière du plan financier et la responsabilité encourue par les fondateurs et le notaire instrumentant », R.D.C., 2002, p. 718, n° 9.
4. J. Malherbe et cts, Droit des sociétés, Précis, Bruylant, 2006, p. 397, n° 713.
5. J.-F. Goffin, Responsabilités des dirigeants de société, Larcier 2004, p. 54, n° 33.
6. Cass., 12 octobre 2005, Pas., 2005, n° 507.