Présentation des faits 1
Une société mère et le groupe de cette société mettent en place un plan d’intéressement au personnel, destiné aux employés clés, à savoir les cadres, dirigeants, et plus généralement les membres du personnel à responsabilité importante.
Deux avantages peuvent leur être octroyés :
- Les « Stock options » qui permettent à leurs titulaires de souscrire à un nombre déterminé d’actions de la société mère pour une valeur déterminée au moment de l’octroi de l’option.
- Les RSU ou « Restricted Stock Units » qui donnent droit, à terme, à des unités payables en espèces, d’une valeur égale au cours de bourse de la société mère au terme convenu.
Par ailleurs, la société fille s’était engagée à payer à la société mère les avantages que ses employés percevraient tant des stock options que des RSU. A cet égard, il était également prévu qu’un décompte serait établi lorsque des employés de la société fille tireraient des avantages de leurs options ou RSU et que la société mère facturerait à la société fille les sommes dont celle-ci lui serait redevable, à savoir :
- pour les stock options : la différence entre le cours de bourse au moment de la souscription des actions et le prix d’exercice de l’option ;
- pour les RSU: la valeur de bourse des actions au moment de l’attribution des « unités ».
La société fille comptabilisera ensuite cette charge en charge salariale.
Afin de couvrir cette charge, la société fille décide de comptabiliser une provision pour risques et charges, depuis 2004, calculée de la manière suivante :
- Pour les stock options : le calcul de la provision est déterminée par la différence entre le prix d’exercice de l’option et le cours de bourse au 31 décembre de l’année pour chaque option octroyée à un employé de la société fille et restant à lever.
- Pour les RSU: la provision est égale au cours de bourse au 31 décembre de l’action de la société mère multipliée par le nombre de RSU accordé restant à exécuter.
La société fille demande à l’administration fiscale que cette provision soit exonérée à l’impôt des sociétés, conformément à l’article 48 du Code d’impôt sur les revenus 1992 (CIR). L’administration fiscale refuse cette exonération et décide de procéder à l’enrôlement. La société fille introduit dès lors une action en justice afin d’obtenir l’annulation ou le dégrèvement des cotisations enrôlées.
Décision du Tribunal de première instance de Bruxelles
Le tribunal estime que l’avantage octroyé par la société fille a ses employés constitue, dans leur chef, et au regard du droit fiscal belge, un avantage que ses employés obtiennent en raison de leur occupation au sein de cette société.
Il en résulte que les charges auxquelles les provisions sont destinées à faire face sont admissibles, en raison de leur nature, au titre de frais professionnels et sont considérées comme grevant normalement les résultats de la société fille. Par conséquent, conformément à l’article 24 de l’arrêté royal d’exécution du CIR, ses charges doivent être exclues du bénéfice imposable 2.
Par ailleurs, il découle de l’article 48 du CIR 1992 que pour qu’une provision pour risques et charges soit exonérée fiscalement, il faut que la charge soit probable au vu des évènements en cours.
Or, en l’espèce, la provision a été établie en tenant compte du cours de bourse et de la capacité d’exercice des avantages accordés. La probabilité de la charge est donc établie selon le tribunal. Cette provision a, en outre, été estimée sur base de critères objectifs, et personnalisés.
En effet, le tribunal estime qu’il n’est pas requis que le montant de la charge soit nettement précisé puisqu’il s’agit d’une provision et non d’une dette. Il suffit dès lors que le risque soit circonscrit quant à sa nature.
A cet égard, la valeur boursière des actions à la date de clôture des comptes de la société fille pour le calcul d’une provision à « estimer » est un critère fiable, concret et surtout raisonnable, et qui respecte les conditions légales.
Il en découle que la provision doit être exonérée puisqu’elle répond aux prescrits comptable et fiscal belges.
En conséquence, le tribunal ordonne le dégrèvement des cotisations enrôlées à l’impôt des sociétés à charge de la société fille.
Bon à savoir
Le droit comptable impose aux sociétés de comptabiliser des provisions pour risques et charges afin de couvrir des pertes ou charges nettement circonscrites quant à leur nature, mais qui, à la date de clôture de l'exercice, sont probables ou certaines, mais indéterminées quant à leur montant 3.
Ces provisions font, en principe, parties du bénéfice imposable. Toutefois, l’article 48 du CIR 1992 admet l’exonération des provisions pour risques et charges qui sont comptabilisées par les entreprises en vue de faire face à charges nettement précisées et que les événements en cours rendent probables dans les limites et aux conditions déterminées par le Roi 4.
Il n’est toutefois pas requis que le montant de la charge soit nettement précisé puisqu’il s’agit d’une provision. Il suffit que le risque soit circonscrit quant à sa nature. Le montant de la provision est donc laissé à l'appréciation de l'entreprise, laquelle doit toutefois faire preuve de prudence, de sincérité et de bonne foi 5. La provision doit dès lors être estimée sur la base de critères fiables, concrets et raisonnables.
Par ailleurs, pour être déductibles, les provisions pour risques et charges doivent êtres destinées à faire face à des charges admissibles, par nature, au titre de frais professionnels et être considérées comme grevant normalement les résultats de la période imposable 6.
Remplissent cette dernière condition les charges suivantes 7 :
- les charges qui résultent de l'activité professionnelle exercée ou d'événements survenus pendant la période imposable 8 ;
- les charges qui sont couvertes d'avance par des indemnités obtenues au cours de la même période du chef de sinistres, expropriations, réquisitions en propriété ou autres événements analogues ;
- les charges qui se rapportent, dans une mesure proportionnelle à la durée de ladite période, à des grosses réparations d'immeubles, matériel et outillages, à l'exclusion de tout renouvellement, effectuées périodiquement à des intervalles réguliers n'excédant pas 10 ans 9.
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1. Civ. Bruxelles, 9 mai 2014, J.D.F., 2014/11-12, p. 359.
2. Article 24, 10 de l’arrêté royal d’exécution du Code d’impôt sur les revenus.
3. Article 50 de l’arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution du Code des sociétés.
4. Article 48 du CIR 1992.
5. Articles 51 et 53 de l'Arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution du code des sociétés.
6. J. Kirkpatrick et D. Garabedian, Le régime fiscal des sociétés en Belgique, Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 185 ; Article 24 de l’arrêté royal d’exécution du Code d’impôt sur les revenus.
7. Article 25 de l’arrêté royal d’exécution du Code d’impôt sur les revenus.
8. Cass., 23 décembre 1971, Pas., 1972, I, p. 413.
9. Voy. L. Declerck, Manuel pratique d’impôt des sociétés, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 146.