Présentation des faits 1
Un docteur fait à une société dont il est l'associé-gérant un « quasi apport », sous la forme d'une cession de clientèle. Il reçoit en échange de ce « quasi-apport », la somme de 13 842 216 BEF. Cette somme est comptabilisée comme une somme à valoir par la société au crédit du compte courant entre la société et son associé-gérant. Le rapport du réviseur d'entreprises indique que le gérant de la société consent à ce que cette société rembourse ce prix de cession en fonction de ses disponibilités financières, ce qui implique dès lors un paiement différé de ce prix.
Par la suite, la société effectue des remboursements périodiques de la valeur d'acquisition de la clientèle (comptabilisés au débit du compte courant sous la rubrique « prélèvements »). La société inscrit, par ailleurs, ces remboursements en charges financières dans ses comptes de résultat, à savoir la somme de 680 000 BEF pour l'exercice d'imposition 2000 et une somme de 701 000 BEF pour l'exercice d'imposition 2001.
L'administration fiscale estime que les intérêts créditeurs dont la société s'est trouvée débitrice sur le solde de son compte courant envers son associé doivent être requalifiés en dividendes sur la base de l'article 18, 4°, du Code des impôts sur les revenus (CIR) 1992. Cet article dispose, en effet, que les dividendes comprennent les intérêts des avances, c'est-à-dire de tout prêt d'argent consenti par une personne physique à une société dont elle possède des actions ou parts ou par une personne à une société dans laquelle elle exerce un mandat ou des fonctions visés à l'article 32, alinéa 1er du CIR.
La société conteste la qualification en dividendes en indiquant que le gérant a accepté d'accorder à la société des délais de paiement de sa créance jusqu'à ce que sa situation financière le permette. L'octroi de ce délai de paiement ne peut, selon elle, être assimilé à un prêt d'argent. La société décide donc d'introduire un recours en justice contre la décision de l'administration fiscale.
La Cour d'appel donne raison à l'administration fiscale et estime que lorsqu'une personne a l'intention, parallèlement au transfert immédiat de la propriété d'un bien lui appartenant, fût-il immatériel, de laisser le remboursement du prix de vente à la disposition de la société durant un délai relativement long, par exemple parce qu'aucun délai contractuel de paiement n'est stipulé ou que la société ne possède pas de moyens financiers pour rembourser un emprunt, il peut être question d'un prêt d'argent et une requalification des intérêts en dividendes est possible.
La Cour estime que sous le couvert de la cession de clientèle, se cachait, en réalité, un contrat de prêt déguisé 2 puisque l'intention réelle des parties était que l'argent soit prêté par le gérant à sa société. La société introduit un pourvoi en cassation contre cette décision.
Décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation indique qu'à défaut de définition particulière dans la loi fiscale, il y a lieu d'entendre par prêt d'argent, le contrat par lequel le prêteur remet de l'argent à l'emprunteur en vue de lui permettre de s'en servir et à charge pour ce dernier de le lui restituer au terme convenu.
Un prêt d'argent, au sens de l'article 18, alinéa 2 du CIR 1992 peut être constaté par une inscription au compte courant de l'actionnaire ou de la personne qui exerce un mandat ou des fonctions qui sont visés à l'article 32, alinéa 1er, 1°.
Une telle inscription n'implique toutefois pas nécessairement l'existence d'un contrat de prêt. Par conséquent, c'est à l'administration fiscale, qui revendique l'application de l'article 18 du CIR, qu'il appartient de démontrer que le contrat sous-jacent à la créance comptabilisée constitue un prêt d'argent.
En l'espèce, la Cour constate que les délais de paiement du prix de cession sont fort longs, puisque plus de huit ans après l'acquisition de la clientèle par la société il subsistait encore un solde du prix à rembourser. Elle estime également qu'au vu de la capitalisation limitée de la société, la hauteur des remboursements et l'absence de fonds suffisants mis en réserve, il est évident que, dès le départ, la société ne disposerait pas avant de nombreuses années des moyens financiers suffisants pour exécuter son obligation de remboursement à l'égard du gérant.
Il se déduit de ce qui précède que l'intention réelle des parties était que l'argent soit prêté par le gérant à sa société et que le fait juridique de la mise à disposition de ces fonds ressortis de leur comptabilisation sur le compte courant. Par conséquent, la Cour de cassation valide l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Mons.
Bon à savoir
L'article 18, alinéa 1er, 4°, du CIR 1992 prévoit que les dividendes comprennent les intérêts des avances dans les conditions qu'il détermine.
En vertu de l'alinéa 2 du même article, est considéré comme avance, tout prêt d'argent, représenté ou non par des titres, consenti par une personne physique à une société dont elle possède des actions ou parts ou par une personne à une société dans laquelle elle exerce un mandat ou des fonctions d'administrateur, de membre du comité de direction ou de gérant 3. Sont assimilés à ces personnes, leurs conjoints ou les enfants à l'égard desquels elles-mêmes ou leur conjoint ont la jouissance légale des revenus.
Les intérêts des prêts consentis par ces personnes à une société sont assimilés à des dividendes dans deux cas.
1° Lorsque le montant total des sommes prêtées excède le total des réserves taxées au début de la période imposable et du capital libéré à la fin de cette période. Dans ce cas, les intérêts sont assimilés à des dividendes dans la mesure de l'excès 4.
2° Lorsque le taux des intérêts des prêts consentis excède le taux du marché.
Un prêt d'argent, au sens de l'article 18 alinéa 2 du CIR peut être constaté par une inscription au compte courant de l'actionnaire ou de la personne qui exerce un mandat ou des fonctions qui sont visés à l'article 32, alinéa 1er, 1°.
Une telle inscription n'implique toutefois pas nécessairement l'existence d'un contrat de prêt. Par conséquent, c'est à l'administration fiscale, qui revendique l'application de l'article 18, qu'il appartient de démontrer que le contrat sous-jacent à la créance comptabilisée constitue un prêt d'argent.
A cet égard, s'il apparaît que l'intention des parties à une cession de clientèle était, parallèlement au transfert immédiat de propriété, de laisser le remboursement du prix de vente à la disposition de la société durant un délai relativement long, et ce, parce qu'aucun délai contractuel de paiement n'a été stipulé ou que la société ne possède pas de moyens financiers pour rembourser l'emprunt, il faut considérer qu'il s'agit d'un prêt d'argent et une requalification des intérêts en dividendes est possible 5.
Dans ce cas, la mise à disposition des fonds à rembourser par la société et la comptabilisation de ces fonds sur un compte courant productif d'intérêts doit être qualifiée de prêt d'argent au sens de l'article 18, alinéa 2, du CIR 1992 6.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cass, 2 décembre 2010, R.G.C.F., 2011/5, p. 401.
2. I. Van De Woestijn, ‘ Herkwaliflcatie van interesten in dividenden bij een rekening-courant Grondslag en tariefvan de roerende voorheffing ', T. F. R ., 2005, n°284, p. 584.
3. Article 18, alinéa 2 du Code d'impôt sur les revenus (CIR) 1992.
4. J. Kirkpatrick et D. Garabedian, Le régime fiscal des sociétés en Belgique, Bruylant, Bruxelles, 2003, p.170.
5. Civ. Anvers, 25 juin 2003, F.J .F., 2004, p.111.
6. Anvers, 5 septembre 2000, Fiscoloog, 2000, n° 770, p. 10 ; Anvers, 29 septembre 1998, F.J F., n° 99, p. 171 ; Gand, 31 mars 1999, F.J.F., n°99, p. 138 ; Anvers, 2 mai 2006, inédit, R.G.n°2003/3049.