Présentation des faits 1
La SA F., dont les droits ont été repris par la S.C.R.L. D., s'occupait depuis plusieurs années de l'élaboration des comptes et des déclarations fiscales de la SA S.
Une convention d’abonnement type liait la SCRL D. et la SA S.
Le 20 décembre 1991, la SA S a acquis simultanément 94 options call « Walt Disney » (136.300 USD), 47 options put « Walt Disney » (96.937,50 USD) et 47 options put « Walt Disney » (96.350 USD) et, sur deux heures de temps, a exercé les actions call puis les actions put.
Cette opération devait permettre de dégager pour l'année 1991 une plus‐value immunisée de 10.322.176 BEF, dès lors que depuis la loi du 23 octobre 1991 les plus-values réalisées sur actions et parts peuvent être immunisées d'impôt, et des charges déductibles de 11.310.454 BEF.
Toutefois, par un avis de rectification de la déclaration exercice d'imposition 1992, l'Administration de l'Inspection Spéciale des Impôts du Ministère des Finances a estimé que cette perte avait été réalisée volontairement et n'était pas déductible et a décidé d'un accroissement d'impôt de 50% compte tenu du caractère incomplet et inexact de la déclaration fiscale.
La S.A. F. a préparé pour la SA S. des projets de réponses circonstanciées à adresser à l'Administration fiscale, l'a invitée à introduire une réclamation pour les exercices 1992 et 1993 et, suite à la décision de rejet de celle‐ci, à former un recours devant la Cour d'appel, en avançant à cet effet les frais de conseil d'un avocat fiscaliste.
La SA S. soutient que la SCRL D., qui lui aurait vendu le montage fiscal rejeté par l'administration, a commis une faute professionnelle et doit être condamnée à réparer le dommage que cette faute lui a occasionné, dommage qu'elle évalue actuellement à 159.626,62 euros, à majorer des intérêts au taux légal depuis la date des décaissements et du montant des impôts qui sera réclamé sur ce montant.
Le premier juge a dit l'action mue contre la SCRL D. fondée à concurrence de 112.000 euros provisionnels, réservant à statuer sur le surplus. La SCRL D. critique cette décision. Elle soutient que l'action de la SA S. est, à titre principal, irrecevable ou non fondée et, à titre subsidiaire, très partiellement fondée.
Décision de la Cour d’appel de Liège
La Cour constate que la SA S. et la SA F. étaient liées par une convention d'abonnement comptable et fiscal visant notamment les opérations d'établissement des comptes annuels et des déclarations à l'impôt des sociétés, ainsi que les missions d'expert-comptable et fiscal.
La SCRL D. soutient dans un premier temps que la SA S. n'apporte pas la preuve, conformément aux règles du droit civil, ni du fait que la fiduciaire lui aurait conseillé l'opération fiscale litigieuse ni du contenu exact de ce prétendu conseil.
La Cour considère, à cet égard, que c'est à tort que la SCRL D. soutient que la preuve de ce conseil et de son contenu devrait être rapportée par un écrit et ne pourrait l'être par présomptions. En effet, la question qui se pose n'est pas de prouver l'existence du contrat ‐ ce qui aurait en effet nécessité un écrit ‐ puisque son existence et son contenu ne sont pas contestés, mais bien de prouver une faute contractuelle qu'aurait commise la SA F. dans le cadre de l'exécution du contrat, en donnant à sa cliente un conseil fiscal erroné.
La charge de cette preuve repose sur la SA S. mais peut être administrée par toutes voies de droit, présomptions comprises.
La Cour estime qu’il y a lieu de déterminer si l'opération s'est réalisée sur le conseil fautif de la SA F. Il ressort du dossier que les managers fiscaux de la SA F. ont mis au point le montage fiscal, l'ont conseillé à la SA S. et sont directement intervenus dans l'opération d'achat‐vente des options sur actions.
En outre, la SA S. produit une facture qui confirme que le service fiscal et juridique de la SA F. a effectué des prestations et qu'en outre elle a participé à l'opération d'option d'achat litigieuse.
Pour ce qui est du contenu exact du conseil fiscal donné, force est de relever que la SCRL D., si elle avance que la preuve du contenu exact du conseil donné ne serait pas rapportée, reste totalement en défaut d'indiquer quel était le contenu de ce conseil qu'elle a donné et facturé et en quoi la SA S ne l'aurait pas respecté ou suivi.
En tout état de cause, il appartient à la SA S. d'établir que le montage fiscal auquel elle a eu recours sur conseil et intervention de la SA F. n'aurait pas été conseillé par un expert fiscal et juridique normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances et à la même époque.
Il résulte de la lecture des pièces que la SA F. proposait le montage fiscal litigieux à ses clients et le présentait comme un produit sûr.
La Cour constate qu’à aucun moment d'ailleurs la SA F. n'a prétendu avoir émis des réserves sur le bon déroulement de cette opération ou mis en garde ses clients contre les risques qu'elle présentait.
Ainsi, la Cour considère qu’en proposant fin 1991 à la SA S. le montage fiscal litigieux comme un produit qui, selon son analyse, ne présentait aucun risque d'être rejeté par l'Administration, la SA F. a fait preuve d'une imprudence fautive que n'aurait pas commise un conseiller fiscal normalement prudent et diligent.
En effet, la SA F. aurait dû analyser plus avant les conséquences et risques de l'opération envisagée, ce qui l'aurait amenée à ne pas la conseiller à la SA S., au regard des risques importants de rejet par l'Administration fiscale compte tenu de l'absence manifeste de rattachement de la prétendue dépense à l'exercice de l'activité sociale de la société.
Bon à savoir
L’article 38 de la loi du 22 avril 1999 relative aux professions comptables et fiscales, détermine de manière non limitative les missions que peuvent exercer les conseiller fiscal 2. Il s’agit de :
1° donner des avis se rapportant à toutes matières fiscales ;
2° assister les contribuables dans l'accomplissement de leurs obligations fiscales ;
3° représenter les contribuables.
Les obligations que le conseiller fiscal ou le comptable assume envers son client sont, de manière générale et sauf si les parties en disposent autrement, des obligations de moyens.
Pour engager la responsabilité de l’expert, ses clients doivent donc démontrer qu’il a commis une faute dans le cadre de sa mission. Lorsqu’il apprécie la faute du comptable, le juge ne peut poser qu’une appréciation marginale et à priori. D’une part, le juge doit se limiter à déterminer si, compte tenu des marges d’appréciation inhérentes à toute activité professionnelle, la stratégie adoptée et les décisions prises en exécution de celle-ci sont raisonnables en fonction de la cause considérée. D’autre part, le juge ne peut examiner le comportement du professionnel au moment où il statue, mais bien au moment où l’acte a été commis 3.
Néanmoins, la seule constatation de l’existence d’une faute ne permet pas de déduire l’existence d’une relation causale entre cette faute et le dommage subi par les clients 4. Le juge ne peut condamner l’auteur de la faute, en l’occurrence le comptable, à réparer le dommage réellement subi s’il décide qu’une incertitude subsiste quant au lien causal entre la faute et ce dommage 5.
En tout état de cause, il appartient au client d’établir que le montage fiscal auquel il a eu recours sur conseil et intervention du conseiller fiscal n'aurait pas été conseillé par un expert fiscal et juridique normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances de temps et de lieu.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Arrêt Cour d'appel, Liège 2008/RG/1176 10/09/2009, www.juridat.be.
2. Article 34 de la loi du 22 avril 1999 relative aux professions comptables et fiscales.
3. C. MELOTTE, « La responsabilité des professions comptables », in Responsabilités, Traité théorique et pratique, KLUWER, Titre II, Livre 28sexies, Volume III, page 13.
4. Cass., 12 décembre 1980, Pas., 1981, I, p. 429.
5. Cass., 12 octobre 2005, Pas., 2005, n° 507.