Présentation des faits 1
Un réviseur d'entreprise est poursuivi disciplinairement pour avoir, en sa qualité de commissaire d'une société, émis un rapport sans réserve pour les exercices 1998 et 1999, négligé le dépôt auprès de la Centrale des bilans du rapport de gestion et du rapport du commissaire relatif aux comptes pour l'exercice social 1999 et omis tout dépôt après celui des comptes 1999.
Il lui est donc reproché d'avoir violé l'article § 4.1.al. 3 de la recommandation du 6 septembre 1996 sur le contrôle des formalités d'arrêté, d'approbation et de publication des comptes annuels et consolidés, lequel prévoit que lorsque le commissaire constate que les comptes annuels n'ont pas été déposés dans le délai prescrit, il est tenu de dénoncer l'infraction au conseil d'administration et, si la publication n'a pas eu lieu avant la plus prochaine assemblée générale, d'établir un rapport spécial à l'intention de cette assemblée afin de dénoncer l'infraction.
En appel, la commission d'appel de l'Institut des réviseurs d'entreprises estime cette infraction non fondée au motif que l'obligation du commissaire de dénoncer la défaillance d'un dépôt ne concerne que le dépôt des comptes annuels et pas le dépôt du rapport de gestion. Or, les comptes annuels relatifs à l'année 1999 ont bien été déposés.
Par contre, elle estime l'action disciplinaire fondée en ce qui concerne la violation des articles 143 et 144 du Code des sociétés, des paragraphes 3.16.4 des normes générales de révision, 3.2.1 et 3.2.2 de la recommandation du 6 septembre 1996, de l'article 2 de l'arrêté royal du 10 janvier 1994 relatif aux obligations du réviseur d'entreprises et du paragraphe premier 1.2 des normes générales de révision et inflige en conséquence, pour l'ensemble de ces manquements, la peine de la suspension pour un terme de huit jours.
En effet, la commission d'appel estime qu'il appartenait au commissaire, au vu des articles 143 et 144 du Code des sociétés, d'établir en tout état de cause un rapport et ce, même si le conseil d'administration de la société ne lui a jamais transmis les comptes annuels de l'année 2000, ainsi que son rapport de gestion. Il aurait dû, dans ce cas, établir un rapport de carence à l'adresse du président de l'organe d'administration.
Le commissaire décide d'introduire un pourvoi en cassation contre cette décision de la commission d'appel.
Décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation rappelle qu'en vertu des articles 143 et 144 du Code des sociétés, les commissaires sont tenus de rédiger un rapport écrit et circonstancié à propos des comptes annuels. A cet effet, l'organe de gestion doit leur remettre les pièces un mois avant l'expiration du délai légal dans lequel le rapport doit être présenté 2. Le rapport doit, entre autres, indiquer si la comptabilité est tenue et si les comptes annuels sont établis conformément aux dispositions légales et réglementaires applicables 3.
Par ailleurs, il résulte de l'article 18bis de la loi du 22 juillet 1953 créant un Institut des réviseurs d'entreprises, que le conseil de l'Institut peut définir les normes de révision usuelles pour l'exécution des missions visées à l'article 3, lequel vise, à titre principal, toutes missions dont l'accomplissement est réservé par la loi ou en vertu de celle-ci aux réviseurs d'entreprises et, d'une façon générale, toutes missions de révision d'états comptables d'entreprises, effectuées en exécution de la loi ou en vertu de celle-ci 4.
En exécution de cet article 18 bis, le conseil de l'Institut des réviseurs d'entreprise a adopté des normes générales de révision. A cet égard, le paragraphe 3.16.4 de ces normes générales prévoit que si les documents comptables ne sont pas disponibles dans le délai légal, le réviseur prendra les mesures qui s'imposent, notamment par l'établissement d'un rapport de carence à l'attention de l'assemblée générale 5.
Il en résulte que si l'organe de gestion de la société ne met pas le réviseur d'entreprises en mesure d'exécuter sa mission, celui-ci doit notamment établir un rapport de carence. Le commissaire ne peut donc pas se contenter de dénoncer les faits au conseil d'administration et, le cas échéant, à l'assemblée générale, sauf si cette dénonciation prend la forme d'un rapport de carence.
La Cour de cassation déclare donc le recours non fondé.
Bon à savoir
L'article 143 du Code des sociétés impose aux commissaires de rédiger, à propos des comptes annuels d'une société, un rapport écrit et circonstancié. Pour ce faire, l'organe de gestion de la société doit leur remettre les pièces, un mois ou, dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché, quarante-cinq jours avant la date prévue pour l'assemblée générale 6.
Si les documents comptables ne sont pas transmis au commissaire dans le délai légal, le commissaire devra prendra les mesures qui s'imposent, notamment par l'établissement d'un rapport de carence à l'attention de l'assemblée générale 7 et ce, même s'il avait préalablement adressé une correspondance en ce sens au Président du conseil d'administration.
Le commissaire est donc tenu d'établir un rapport en toutes hypothèses, même dans le cas où les informations utiles à la réalisation de ses contrôles sont indisponibles 8.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cass., 24 mai 2007, J.L.M.B., 2008/1, p. 4.
2. Article 143 du Code des sociétés.
3. Article 144 du Code des sociétés
4. Article 18 bis de la loi du 22 juillet 1953 créant un Institut des Réviseurs d'Entreprises et organisant la supervision publique de la profession de réviseur d'entreprises.
5. Paragraphe 3. 16.4 des normes générales de révision de l'Institut des réviseurs d'entreprises (version coordonnée), disponible sur https://www.ibr-ire.be/fr/reglementation/normes_et_recommandations/normes/Pages/Normes-generales-de-revision.aspx
6. E. Vanderstappen et Y. Yangandi, “Art. 143 C.soc” in Commentaire systématique du Code des sociétés, Kluwer, Waterloo, 2010, Livre IV, Titre VII., chp. II, p. 1.
7. M. Caluwaerts, » Rapport de carence ou carence de rapport ? » J.D.S.C., 2008, p. 240.
8. M. Caluwaerts, « Contrôle externe des S.A., S.P.R.L. et S.C », in Guide juridique de l'entreprise - Traité théorique et pratique, 2ème édition, Kluwer, Waterloo, 2009, Livre 25.3, p. 32.