Présentation des faits 1
Un compromis de vente a été signé le 16 mai 2008 par lequel la SPRL D vend un immeuble à Madame A pour le prix de 390.000 euros.
Dans ce compromis, les vendeurs (la SPRL D) déclaraient ne pas avoir connaissance d’une procédure judiciaire en cours susceptible d’affecter la liberté du bien.
Cela étant, le 28 février 2008, la SPRL D a assigné la société B en résolution de la vente portant sur le même immeuble, invoquant l’inexécution des obligations des acquéreurs et un jugement par défaut, faisant droit à la demande, a été prononcé le 16 avril 2008 et suivi d’une opposition signifiée le 20 mai 2008.
Le notaire C (notaire de la partie venderesse) informe Madame A le 23 mai 2008 qu’elle ne peut passer l’acte authentique de vente tant qu’il ne serait pas jugé de manière définitive que la première vente était résolue.
La SPRL D s’est alors adressée à un autre notaire P, en date du 13 août 2008 pour lui demander de dépasser les scrupules du notaire C et de passer les actes.
Le notaire de Madame A a écrit, le 24 octobre 2008, à ses confrères C et P pour leur faire connaître son accord pour passer les actes si, dans l’hypothèse de «dissolution de la vente, le vendeur remboursera à l’acheteur l’entier prix de vente, majoré des frais d’acte d’achat (droits de l’enregistrement, honoraires et frais d’acte) de même que l’indemnisation de 10% sur le prix de vente» et voulait s’assurer de «l’accord préalable de la banque de l’acheteur qu’elle est disposée à accorder un prêt (hypothécaire) nonobstant le risque de l’abrogation de la vente».
L’acte authentique de vente n’a pas été passé dans le délai de 4 mois à dater de la signature du compromis de vente. Les notaires ne voulant pas passer l’acte en raison de la procédure pendante.
Pour finir, la SPRL D a signé un compromis de vente portant sur l’immeuble le 7 janvier 2010 en faveur d’un autre acquéreur, Monsieur K.
Par conséquent, le 29 avril 2010, Madame A a assigné la SPRL D en dommages et intérêts pour inexécution fautive d’une convention de vente d’immeuble. La SPRL D a fait une demande reconventionnelle dans laquelle elle fait la même demande que Madame A.
Le juge a donné raison à la SPRL D.
Madame A a donc interjeté appel du jugement rendu le 15 février 2011 par le Tribunal de première instance de Liège. Madame A demande à la juridiction de céans de prononcer la résolution de la vente litigieuse aux torts et griefs du vendeur et de le condamner au paiement de la somme de 39.000 euros représentant le montant de la clause pénale conventionnelle.
Décision de la Cour d’appel de Mons
La Cour constate que le compromis litigieux comportait une clause selon laquelle le vendeur déclarait ne pas avoir connaissance d’une procédure judiciaire en cours susceptible d’affecter la liberté du bien et que tel n’était pas le cas.
En outre, le fait que Madame A ait été informée de la teneur du jugement prononcé par défaut le 16 avril 2008 et qui procédait à la résolution de la vente intervenue entre la SPRL D et les premiers acquéreurs des immeubles litigieux n’enlève rien au fait que la SPRL D a celé la vérité en insérant cette clause.
La Cour d’appel estime, après l’analyse des pièces du dossier, que l’existence de la procédure judiciaire entre le vendeur et ses premiers acquéreurs a empêché le notaire P, agissant pour le vendeur, de passer les actes.
Sur base de l’article 3 du Code de déontologie, le notaire prête son ministère chaque fois qu’il en est requis et qu’il ne peut le refuser que dans les cas suivants:
1° lorsque l’acte qu’il est requis de recevoir contient des dispositions contraires à une loi d’ordre public ou susceptibles d’induire les tiers en erreur;
2° lorsque les parties à l’acte agissent en fraude des droits des tiers ou de l’autorité; …
La Cour considère donc que dès lors que la résolution judiciaire de la vente ne découlait que d’un jugement rendu par défaut et encore susceptible d’opposition, le notaire P a agi conformément aux devoirs de sa charge en refusant de passer l’acte de vente aussi longtemps que la résolution de la première vente n’était pas passée en force de chose jugée.
En sachant que le délai conventionnel de passation de l’acte authentique était dépassé et que la SPRL D a vendu à nouveau l’immeuble le 7 janvier 2010 à d’autres acquéreurs, Madame A était fondée à introduire une action en résolution judiciaire du contrat de vente aux torts et griefs de son cocontractant qui a faussement affirmé lors de la conclusion du contrat qu’il n’avait pas connaissance d’une procédure judiciaire en cours susceptible d’affecter la liberté du bien.
La Cour prononce la résolution du contrat de vente aux torts de la SPRL D.
Bon à savoir
L’article 3 du Code de déontologie dispose que « Le notaire prête son ministère chaque fois qu'il en est requis. Il ne peut le refuser que dans les cas suivants :
1° lorsque l'acte qu'il est requis de recevoir contient des dispositions contraires à une loi d'ordre public ou susceptibles d'induire les tiers en erreur;
2° lorsque les parties à l'acte agissent en fraude des droits des tiers ou de l'autorité;
3° lorsqu'il est incompétent pour un des motifs énumérés par la loi organique du notariat;
4° lorsque les parties le requièrent d'authentifier soit une convention dans une matière étrangère à la compétence juridique qui peut normalement être attendu de tout notaire, soit des déclarations ou des constatations qui ne ressortent pas du ministère notarial. » 2
Un notaire agit conformément à ses devoirs lorsqu'il refuse de passer un acte authentique de vente aussi longtemps que la résolution de la première vente concernant le même immeuble n'est pas passée en force de chose jugée. 3
En effet, procéder à la passation des actes authentiques aurait pu empêcher l’exécution d’un jugement ultérieur qui n’aurait pas fait droit à la résolution demandée concernant la première vente, ce que ne peut faire un notaire dûment informé de procédures judiciaires en cours.
Ainsi, lorsque le vendeur insère dans le compromis de vente une clause selon laquelle il déclare ne pas avoir connaissance d'une procédure judiciaire en cours susceptible d'affecter la liberté du bien, alors que tel est pourtant le cas et, la partie acquéreuse est fondée à postuler la résolution du contrat de vente aux torts et griefs du vendeur. 4
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Mons, 23 avril 2012, Rec. gén. enr. not., 2014, liv. 3, 111.
2. Code de déontologie adopté par l’assemblée générale de la Chambre nationale des notaires le 22 juin 2004 et approuvé par A.R. du 21 septembre 2005 (M.B. 3 novembre 2005).
3. Voyez : Liège (3e ch.) 23 avril 2012, J.L.M.B., 2014, liv. 4, 161 ; J. GERMAIN., La terminaison du contrat de vente, in Manuel de la vente, Bull. ass.» 2011, 313-348.
4. Voyez : P. FORIERS., « Les effets de la résolution des contrats pour inexécution fautive », in La mise en vente d'un immeuble. Hommage au professeur Nicole VERHEYDEN-JEANMART, 2005, 223-263.