Présentation des faits 1
Dans les faits, Madame A a été poursuivie par la Banque K en exécution d'un emprunt hypothécaire auquel, aux termes d'un acte reçu en 1996 par le notaire, elle s'était solidairement obligée avec son époux. Son époux est décédé en 1997.
Selon Madame A, ce prêt de 47.099,77 euros devait, en réalité, profiter à son fils, Monsieur R, qui disait vouloir racheter la part indivise de son épouse dans un immeuble commun mais qui apparaissait ne pouvoir offrir de garanties suffisantes pour se voir octroyer un tel montant par un établissement de crédit.
Le remboursement du prêt en question était payé par mensualités (400 euros) et devait s'étaler sur vingt ans, alors que Madame A et son époux étaient à l'époque respectivement âgés de 68 ans et 74 ans, et que leurs revenus mensuels cumulés atteignaient 1.478,36 euros.
Le montant du prêt a bien été remis dans les mains de leurs fils qui avait convenu de les rembourser. Toutefois, le montant ne fut pas utilisé au rachat de la part indivise.
La question qui se pose est de savoir si l'organisme de crédit K et le notaire ont engagé leur responsabilité.
En effet, Madame A reproche à la banque K de lui avoir octroyé, ainsi qu'à feu son époux, le prêt litigieux alors qu'aucune analyse sérieuse de leurs capacités de remboursement n'aurait été effectuée et sans qu'une assurance solde restant dû ait été préalablement souscrite.
En outre, Madame A et la banque K reprochent au notaire d'avoir manqué à son devoir de conseil en omettant d'attirer l'attention des emprunteurs sur le danger de signer un tel contrat sans cette assurance eu égard à leur âge.
Le jugement rendu en 2004 par le Tribunal de première instance de Liège a retenu les responsabilités conjointes de Madame A, de la banque K ainsi que de Monsieur R.
Décision de la Cour d'appel de Liège
La Cour d'appel de Liège rappelle que si rien ne s'oppose à ce que le crédité puisse faire grief à son banquier de lui avoir octroyé un crédit alors qu'il connaissait ou devait connaître l'inadéquation de ses capacités de remboursement, il demeure que le crédité est mieux placé que son banquier, dont on ne peut pas exiger qu'il aille rechercher des informations auprès de tiers. 2
En l'espèce l'opération critiquée constitue l'élément d'un arrangement de famille par lequel Madame A et son époux ont accepté de s'interposer entre le dispensateur du crédit et le véritable bénéficiaire, et instigateur, de celui-ci, à savoir leur fils, en vue de fournir des sûretés que celui-ci ne pouvait fournir et auxquelles le prêteur subordonnait son consentement.
Ainsi, l'offre qui fut envoyée par la banque K est conforme au prescrit de l'article 14 de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire, de sorte qu'il ne peut être reproché à celle-ci d'avoir manqué à son obligation d'information, le banquier n'étant, en règle, pas tenu d'une obligation de conseil. 3
En ce qui concerne la responsabilité du notaire X, Madame A et la banque K reprochent au notaire d'avoir manqué à son devoir de conseil en omettant d'attirer l'attention des emprunteurs sur le danger de signer un tel contrat sans une assurance solde restant dû, et ce, eu égard à leur âge.
La Cour rappelle qu'il faut apprécier le devoir de conseil du notaire avec pondération en tenant compte des circonstances et que le créancier de cette obligation ne peut lui-même se dispenser de tout effort pour être informé correctement. 4
L'obligation de souscrire cette assurance était clairement stipulée tant dans l'offre de crédit qui a été acceptée par les emprunteurs que dans l'acte notarié, acte dont il n'est pas allégué que le notaire n'aurait pas donné lecture lors de sa passation.
Par conséquent, les emprunteurs ont disposé, au moment de signer l'acte, de tous les faits utiles pour eux se rapportant à l'objet des obligations nées de l'emprunt qu'ils souscrivaient.
Ainsi, tant la banque que le notaire n'ont pas engagé leurs responsabilités.
Bon à savoir
Le crédit hypothécaire consenti à un couple en vue de permettre à leur fils d'opérer le rachat d'une part indivise dans un immeuble est régi par les titres I et II de la loi du 4 août 1992 sur le crédit hypothécaire.
Les emprunteurs âgés, ont accepté d'emprunter à la place de leur fils qui ne pouvait offrir de garanties suffisantes pour se voir octroyer un tel montant par un établissement de crédit. Par conséquent, ils ont sciemment pris part à ce mécanisme d'interposition de personnes dont ils ont accepté le risque. 5
En consentant au crédit litigieux, ils ont renoncé de manière implicite mais certaine à rechercher la responsabilité du prêteur à raison de l'octroi d'un crédit inadapté à leur capacité de remboursement.
Il ne peut être reproché au prêteur de ne pas avoir vérifié que les emprunteurs avaient déjà exécuté leur obligation de souscrire une assurance solde restant dû pour le cas de décès.
Par ailleurs, dès lors notamment que l'obligation de contracter l'assurance solde restant dû figurait tant dans l'offre de crédit acceptée par les emprunteurs que dans l'acte notarié dont il n'est pas allégué que le notaire n'aurait pas donné lecture lors de la passation de l'acte, le notaire n'a pas manqué à son devoir de conseil. 6
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cour d'appel Liège (10e chambre), 19 juin 2007, J.L.M.B., 2008/3, pp. 100-106.
2. J.-P. Buyle et O. Creplet, « La responsabilité civile des établissements de crédit », in Les responsabilités professionnelles, Formation permanente CUP, vol. 50, 11/2001, p. 203.
3. J.-P. Buyle, « Les obligations d'information de renseignement, de mise en garde et conseil des professionnels de la finance », in Formation permanente CUP, vol. 86, 3/2006, pp. 195 et 198.
4. Fr. Glansdorff, Les obligations d'information, de renseignement, de mise en garde et de conseil, CUP, vol 86, Bruxelles, Larcier, 2006 pp. 29 et 47
5. C. Biquet-Mathieu, « L'entreprise hypothécaire n'est pas un prêteur sur gage », J.L.M.B., 2008/3, pp. 106-107.
6. J.-P. Buyle et O. Creplet, " La responsabilité civile des établissements de crédit », in Les responsabilités professionnelles, Formation permanente CUP, Larcier, vol. 50, novembre 2001, p. 187 et 204, note 292 ; L. Cornelis, « De aansprakelijkheid van de bankier bij kredietverlening », T.P.R., 1986, p. 367.