Présentation des faits 1
Les époux G. sont propriétaires d’un fonds de commerce situé à Ans.
Ils cèdent ce fonds de commerce à usage de boulangerie-pâtisserie à Monsieur S. par acte sous seing privé le 4 novembre 1993. Ils lui vendent également l’immeuble dans lequel le fonds de commerce est exploité par acte notarié intervenu devant le notaire K. le 30 décembre 1993.
Le prix de la cession du fonds de commerce s’élève à 2.000.000 de francs, qui doivent être payés pour le 15 novembre 1993.
Le prix de l’immeuble est de 6.000.000 de francs. Celui-ci doit être payé en 185 mensualités de 75.000 francs, à partir du 15 novembre 1993. Le taux d’intérêt est, par ailleurs, fixé à 13 %, alors que le taux d’intérêt légal s’élève à 9 % au moment de la conclusion du contrat.
Monsieur S., trois années plus tard, désire payer anticipativement l’intégralité du prix de l’immeuble. Les époux G. contestent cette possibilité.
Monsieur S. reproche aux conventions d’être ambiguës et déséquilibrées. En effet, une clause prévoit, dans le contrat de vente, que les époux G. peuvent réclamer le paiement du solde du prix de vente dans le cas où Monsieur S. ne payerait pas les mensualités dans les conditions exigées par le contrat de vente. Il ne comprend dès lors pas pourquoi le paiement anticipatif lui a été refusé, d’autant plus que le paiement en mensualité constituait une faveur à son égard.
Les époux G. font également grief au notaire K. ne de pas avoir respecté le juste équilibre entre les parties en concluant la convention de vente.
Décision de la Cour
La Cour commence par rappeler les différentes obligations qui pèsent sur les deux parties. Même s’il est vrai que les vendeurs peuvent exiger le paiement du solde du prix en cas de non-paiement des mensualités, cette possibilité constitue la sanction de l’inexécution de l’acheteur et ne peut être exercé que dans un cas précis. De plus, les obligations des vendeurs étaient également sanctionnées en cas de non-exécution de celles-ci. La Cour cite notamment la sanction de l’obligation de non-concurrence dont faisaient l’objet les vendeurs.
La Cour estime, par ailleurs, que les obligations conventionnelles des deux parties sont équilibrées dès lors que l’acheteur a pu prendre possession immédiatement du fonds de commerce, ainsi que de l’immeuble, alors que les vendeurs seraient payés en 185 fois.
La Cour considère également que le paiement en 185 mensualités n’était pas uniquement un avantage pour l’acheteur, mais également pour les vendeurs qui se voyaient offrir une somme fixe tous les mois pendant quinze ans. En percevant le montant du prix de la vente en une seule fois, la Cour estime que les vendeurs perdraient la certitude qu’ils avaient de recevoir le même montant tous les mois pendant quinze ans, n’étant pas certains du taux qu’ils pourraient obtenir en plaçant l’argent reçu en une fois.
Quant au reproche fait au notaire par les vendeurs, la Cour rappelle que le juste équilibre entre les parties doit s’évaluer par rapport au prix de la vente. La question qu’il convient dès lors de se poser est la suivante : « l’immeuble et fonds de commerce valaient-ils le prix exigé par les vendeurs selon les modalités prévues ? ». La Cour reproche aux vendeurs de ne pas donner d’argument à ce sujet et déclare dès lors le moyen non-fondé.
Quant à la responsabilité du notaire, la Cour conclut qu’il ne peut lui être reproché aucune faute pour ne pas avoir attiré l’attention des acheteurs sur l’impossibilité de rembourser anticipativement.
En l’absence de preuve d’un manquement par le notaire au principe de bonne foi et d’égalité entre les parties, ce dernier n’a pas manqué à son devoir de conseil.
Bon à savoir
Le devoir de conseil du notaire est prévu à l’article 9 la loi du 25 Ventôse an XI contenant organisation du notariat : « Le notaire informe toujours entièrement chaque partie des droits, des obligations et des charges découlant des actes juridiques dans lesquels elle intervient et conseille les parties en toute impartialité ».
Ce devoir de conseil trouve son fondement dans la fonction même de la profession de notaire 2.
Cet article ne donne aucune définition du devoir de conseil du notaire, mais se contente d’en énoncer le principe général. La jurisprudence et la doctrine ont, cependant, donné un contenu de plus en plus précis à ce principe 3.
Il convient également de souligner que ce devoir de conseil est une obligation de moyen, qui s’apprécie par rapport au comportement du notaire normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances 4.
La doctrine a permis d’identifier plusieurs éléments sur lesquels doit porter le devoir général de conseil du notaire. Il s’agit de l’information, l’investigation et la substitution 5.
Le devoir d’information concerne plusieurs éléments : la validité juridique de l’acte 6, les aspects financiers ainsi que les droits et obligations des parties. Le notaire doit également rédiger l’acte de façon claire. À cet égard, la responsabilité du notaire peut être engagée si l’acte qu’il a rédigé peut donner lieu à différentes interprétations 7.
En revanche, lorsqu’une compréhension aisée de l’acte est possible et qu’un fait ressort clairement de la lecture de ce dernier, le notaire n’a pas méconnu son devoir de conseil. Sa responsabilité ne peut dès lors être engagée.
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1. Liège (3e chambre), 13/09/2006, J.L.M.B., 2007/9, 350.
2. Bruxelles, 4 juin 1998, R.G.A.R., 2000, n°13-204.
3. C. Melotte, « La responsabilité professionnelle des notaires », dans X., Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre II, Dossier 28, 2005, p. 15.
4. Ibid.
5. C. Vanhalewyn, La responsabilité civile professionnelle du notaire, Dix années de jurisprudence belge (1980-1989), éditions s.a. Altiora, 1991, p. 690.
6. Voy. par exemple Bruxelles, 17 février 1987, J.L.M.B., 1987, p. 537 ; Gand, 18 novembre 1995, T. not., 1995, p. 301.
7. Voy. par exemple Civ. Mons, 16 février 1999, Cah. dr. immo., 2000, liv. 4, p. 18.