Présentation des faits 1
Madame A a fait appel du jugement rendu le 7 janvier 2011 par le Tribunal de première instance de Bruxelles.
Dans les faits, les consorts T (deux frères et une sœur) sont propriétaires indivis d’un appartement et d’un garage.
Le 30 octobre 2008, Madame A a signé, avec l'intermédiaire d'une agence immobilière, un document intitulé « Offre ferme d'achat », libellé de la manière suivante et produit par Madame A :
« Nous soussignés Madame A déclarons faire offre à l'achat du bien décrit ci-après : Appt 2 ch. 1er étage - avec Box Fermé au prix de : 190.000 euro + garage 25.000 euro appartenant à : Indivision T. Cette offre prend cours ce jour, le 30/10/08. Le compromis sera signé le plus rapidement possible ».
Ce document a été contresigné le même jour par Monsieur T, en dessous de la mention manuscrite suivante : « Pour accord sous réserve de l'accord de mon frère ».
Les consorts T produisent, en copie, un document similaire, comprenant les mêmes mentions que dessus, mais outre les mentions suivantes :
- « Pour accord à condition que le compromis de vente soit signé chez le notaire endéans les quinze jours de la présente (10% sous forme de chèque certifié bancaire) 215.000 (deux cent et quinze mille avec garage) », suivi de la signature de Monsieur T (frère) et de la date « 04.11.2008 » ;
Or, le compromis de vente n'a pas été signé dans le délai de quinze jours visé par la mention de Monsieur T (frère).
Par un mail adressé à l’agence immobilière le 5 février 2009, Madame A a fait savoir qu'elle souhaitait « supprimer la promesse d'achat ».
Par compromis du 5 mai 2009, les consorts T ont vendu l'appartement et le garage à un tiers.
Devant le premier juge, les consorts T poursuivaient la résolution de la vente aux torts de Madame A et la condamnation de celle-ci au paiement de dommages et intérêts.
Madame A postulait, reconventionnellement :
- à titre principal : la nullité de la vente soit pour vice de forme (article 1325 du Code civil), soit pour défaut de capacité (article 1108 du Code civil), soit pour vice de consentement (article 1109 du Code civil) ;
- à titre subsidiaire : la résolution de la vente aux torts des consorts T ;
Le premier juge a fait droit à la demande des consorts T.
Décision de la Cour d’appel
En degré d'appel, Madame A postule la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré fondée l'action des consorts T. Elle réitère, en substance sa demande reconventionnelle.
La Cour d’appel considère que c'est à bon droit que le premier juge, avant de se prononcer sur les demandes en résolution ou nullité de la vente, a examiné préalablement la question de l'existence même d'une telle convention.
Le premier juge a considéré, en substance :
- que l'offre de Madame A a été acceptée par Monsieur T le 30 octobre 2008 et par Madame et Monsieur T le 4 novembre 2008 ;
- que Monsieur T a mis une condition suspensive à l'acceptation de l'offre, celle que le compromis de vente soit signé chez le notaire endéans les quinze jours ;
- que les parties ont renoncé à cette condition ;
- que, par conséquent, la vente est bien née, chacune des parties ayant marqué son accord sur la chose (l'appartement et le garage) et sur le prix.
Cela étant, si l'on peut considérer, comme le premier juge, que Madame A a fait une promesse ferme d'achat de l'appartement et du garage, le contrat de vente ne pouvait se conclure que par l'acceptation de cette offre par les vendeurs. L'acceptation doit, en principe, correspondre en tous points à l'offre.
En l'espèce, Monsieur T a accepté l'offre d'achat du 30 octobre 2008 le jour même, sous réserve de l'accord de son frère.
Monsieur T, en revanche, a ajouté une condition à l'offre d'achat dans son acceptation du 4 novembre 2008, en ces termes : « à condition que le compromis de vente soit signé chez le notaire endéans les quinze jours de la présente (10% sous forme de chèque certifié bancaire) 215.000 (deux cent et quinze mille avec garage) ».
Il n'est pas établi que Madame A ait eu connaissance de cette condition complémentaire ajoutée à son offre d'achat du 30 octobre 2008, a fortiori qu'elle l'a acceptée.
Ce n'est évidemment pas parce que Madame A a contacté son notaire qu'elle a eu connaissance de la condition supplémentaire imposée ultérieurement par Monsieur T et qu'elle l'a acceptée.
De même, ce n'est pas parce que le notaire des consorts T a envoyé un projet de compromis au notaire de Madame A, que celle-ci avait connaissance de la condition complémentaire de la signature du compromis endéans les quinze jours et qu'elle l'avait acceptée.
L'ajout, dans l'acceptation de l'offre du 4 novembre 2008, de la condition de la signature du compromis endéans les quinze jours, constitue, selon la Cour, une discordance sur un élément substantiel du contrat.
Dès lors qu'il n'est pas établi que Madame A ait eu connaissance et ait accepté la condition complémentaire et substantielle, la Cour considère que le contrat de vente ne s'est pas réalisé.
En outre, à la lecture des pièces du dossier, la Cour ne peut considérer que les consorts T ont renoncé à la condition suspensive.
S'il est exact que les consorts T pouvaient, en principe, renoncer à la condition suspensive qui était insérée à leur profit, ils ne pouvaient néanmoins y renoncer après le délai fixé pour la réalisation de la condition.
En conclusion, l'action reconventionnelle de Madame A a été jugée fondée dans la mesure où elle tend à entendre constater que son offre d'achat du 30 octobre 2008 est devenue caduque et que la vente ne s'est pas réalisée. Le jugement entrepris sera réformé en ce sens.
Bon à savoir
Seule une discordance sur un élément essentiel ou substantiel du contrat, entre l'offre et l'acceptation de l'offre, empêche la naissance de celui-ci. 2
Ainsi, une discordance sur un élément accessoire ne constitue pas un obstacle à la conclusion du contrat.
Un élément substantiel peut être défini comme étant un élément qui est considéré comme déterminant par les parties, ou par l'une d'entre elles.
Le fait de ne pas établir qu’une partie a eu connaissance d’une condition complémentaire substantielle, ou du moins qu’elle l’ait acceptée, a pour effet que le contrat ne s’est pas réalisé. 3
Par ailleurs, une vente peut être conclue sous condition suspensive. 4 Dans ce cas, l'obligation ne peut être exécutée qu'après l'évènement 5.
Par conséquent, lorsqu'une obligation est contractée sous la condition qu'un évènement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'évènement soit arrivé 6.
Il faut souligner qu’il n'est pas possible de renoncer à une condition suspensive censée défaillie. 7
En effet, lorsque des obligations sont contractées sous une condition suspensive et que la condition est censée défaillie, les obligations conditionnelles ne peuvent plus être exécutées et le contrat, dont elles constituent l'objet, cesse d'exister.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cour d'appel de Bruxelles - arrêt n° F-20140912-11 (2011/AR/1536) du 12 septembre 2014 © Juridat, 17/03/2015, www.juridat.be
2. Voyez : Bruxelles 23 juin 2011, TBO, 2013, liv. 4, 180.
3. Civ. Bruxelles (7e ch.) 16 janvier 2012, R.W. 2014-15, liv. 15, 589.
4. Article 1584 du Code civil.
5. Article 1181 du Code civil.
6. Article 1176 du Code civil ; Cour de cassation, 1ère chambre, 25/05/2007, R.C.J.B., 2009/3, p. 285.
7. Comp. Cass. 25 mai 2007, C.05.0588. N/1, Rechtskundig Weekblad 2007-08, p. 1034 et svt.,