Présentation des faits 1
Dans les faits, Madame A, pleine propriétaire d'un immeuble, a, par acte authentique reçu par le notaire X, consenti à son compagnon Monsieur B un bail à vie sur l'immeuble pour un loyer total et forfaitaire de 25.000 EUR, réglé entièrement avant la signature de l'acte.
Cela étant, une mésentente s'est installée entre Madame A et Monsieur B. Par conséquent, Madame A a tenté d'obtenir l'annulation du bail à vie. Cette demande a été rejetée par décision du juge de paix, confirmée en appel par jugement du tribunal de première instance.
Dès lors, Madame A a introduit la présente action par citation et reproche au notaire X un manquement à son devoir de conseil et d'assistance. Ce manquement aurait empêché Madame A d'analyser préalablement à la signature de l'acte les conséquences de son engagement.
Le premier juge a estimé que Madame A ne démontrait pas que le notaire X aurait manqué à son devoir de conseil. Madame A critique ce jugement et fait d'appel de la décision.
Décision de la Cour d'appel de Liège
La Cour rappelle qu'il appartient à Madame A, qui met en cause la responsabilité contractuelle du notaire X, d'établir une faute, un dommage ainsi que le lien de causalité.
Madame A considère que le notaire X a violé, notamment, les articles 9 et 12 de la loi du 16 mars 1803 contenant organisation du notariat.
L'article 9, § 1er, alinéas 2 et 3, prévoit que « lorsqu'il constate l'existence d'intérêts contradictoires ou d'engagements disproportionnés, le notaire attire l'attention des parties et les avise qu'il est loisible à chacune d'elles de désigner un autre notaire ou de se faire assister par un conseil. Le notaire en fait mention dans l'acte notarié. Le notaire informe toujours entièrement chaque partie des droits, des obligations et des charges découlant des actes juridiques dans lesquels elle intervient et conseille les parties en toute impartialité ».
Ainsi, en vertu de son devoir de conseil, le notaire est tenu d'assister chaque partie sur la portée de ses engagements.
En l'espèce, il n'est pas contesté que le notaire X a été consulté par Monsieur B qui souhaitait trouver une contrepartie à l'investissement qu'il avait fait dans l'immeuble de Madame A. Le notaire a suggéré la signature d'un bail à vie et préparé un projet d'acte qu'il a remis à son client. L'acte authentique a été fixé sans qu'à aucun moment le notaire ne rencontre Madame A, si ce n'est le jour fixé pour la signature de l'acte.
La Cour constate que le notaire X n'a pas rempli son devoir de conseil impartial comme l'aurait fait un notaire normalement prudent et avisé et a, par conséquent, commis une faute.
Si le notaire X considérait que les parties avaient des intérêts opposés, il aurait dû en aviser Madame A et l'informer de ce qu'elle pouvait prendre conseil auprès d'un autre notaire ou d'un avocat, ce qu'il n'a pas fait.
A contrario, si le notaire X estimait pouvoir exercer en toute impartialité son devoir de conseil à l'égard de Monsieur B et Madame A, il était alors tenu de convoquer cette dernière préalablement à la rédaction du projet d'acte, de l'entendre quant à ses motivations comme il l'avait fait pour Monsieur B et surtout de l'éclairer entièrement sur les risques et conséquences de l'acte qu'elle s'apprêtait à recevoir, sur les alternatives à l'acte et sur les possibilités qui existaient d'envisager qu'il puisse être mis fin au bail à vie dans l'hypothèse d'une séparation des parties.
En l'espèce, le notaire X ne s'est aucunement inquiété de fournir à Madame A les conseils juridiques qu'il était tenu de prodiguer ni de préserver ses intérêts. La simple lecture de l'acte, accompagnée de quelques explications le jour fixé pour sa signature, était totalement insuffisante à cet égard.
La seconde faute imputée au notaire X consistant à n'avoir pas, en violation de l'article 12, communiqué le projet d'acte à Madame A au moins cinq jours ouvrables avant la passation de l'acte.
Madame A expose que son dommage consiste dans l'absence de mention dans l'acte d'une possibilité de résiliation du bail à vie en cas de rupture de la vie commune et qu'elle n'aurait jamais signé l'acte tel qu'il était rédigé si elle avait mesuré à quel point une éventuelle rupture la léserait, elle et ses enfants.
La Cour constate qu'il n'est pas démontré que, correctement conseillée par le notaire X ou par un autre conseil juridique, Madame A se serait opposée à son compagnon et aurait obtenu une modification du bail.
Cela étant, il est permis de s'interroger sur les chances qu'elle avait, si le notaire n'avait pas manqué à son devoir de conseil, d'empêcher la survenance du dommage.
Les parties ne s'étant pas exprimée sur le dommage sous l'angle de la perte de chance, La Cour d'appel de Liège, avant de statuer plus avant sur l'étendue du dommage et sur le lien causal, ordonne la réouverture des débats sur ce point.
Bon à savoir
Le devoir de conseil du notaire lui impose, notamment, d'éclairer les parties dans le domaine juridique sur les points suivants :
- Sur la nature juridique, la portée des opérations, l'étendue des droits et engagements qui en découlent, les dangers qu'elles comportent ;
- Sur les mesures à prendre ainsi que les formalités à accomplir en vue d'assurer l'efficacité juridique des opérations ;
- Sur la portée et les conséquences économiques des opérations. 2
Par ailleurs, le notaire, en vertu de son devoir de conseil, doit s'il constate l'existence d'intérêts contradictoires ou d'engagements disproportionnés, attirer l'attention des parties et les aviser qu'il est loisible à chacune d'elles de désigner un autre notaire ou de se faire assister par un conseil. 3
En outre, le notaire est tenu d'assister totalement chaque partie, en ce compris la partie qui ne l'a pas directement consulté et qui est assistée d'un autre notaire, de la portée de ses engagements. 4
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cour d'appel Liège (20e ch.), 10/02/2011 R.G.A.R., 2011/10, p. 14804.
2. R. Bourseau, La responsabilité professionnelle du notaire, C.U.P., 2001, vol. 50, p. 243.
3. Voyez : Association Henri Capitant, A. Puttemans, L. Barnich, « La responsabilité des professionnels du droit en Belgique », in Les professions juridiques, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 641-664
4. J.-F. Ledoux et D. Sterckx, « La réforme du notariat et des actes notariés », J.T., 11 mars 2000, p. 222.