Dans la gestion de la société anonyme, il se peut que naisse un conflit d’intérêt entre l’entreprise et un de ses administrateurs. Dans un tel cas de figure, le Code des sociétés prévoit une procédure à respecter afin que la société ne soit pas lésée par une décision prise par son organe de gestion 1.
Il est important de savoir que les règles en matière de conflits d’intérêts ne trouvent à s’appliquer que lorsqu’un administrateur a un intérêt opposé de nature patrimoniale dans une opération ou une décision à propos de laquelle le conseil d’administration est tenu de délibérer 2. Un conflit d’intérêts d’ordre philosophique entre la société et l’un de ses administrateurs n’est pas soumis à la procédure prévue par le législateur.
Une décision du conseil d’administration va à l’encontre d’un intérêt patrimonial de l’administrateur, lorsqu’elle peut avoir une incidence positive ou négative sur le patrimoine personnel de ce dernier. Il suffit donc d’un intérêt potentiel pour justifier l’application de la procédure de conflit d’intérêt 3.
Par ailleurs, le conflit peut être direct ou indirect 4. Les intérêts sont directement opposés lorsque, par exemple, la société désire acquérir un bien qui appartient à son administrateur. Ils sont indirectement opposés, lorsque le bien appartient à une autre société dans laquelle l’administrateur occupe également un rôle 5.
Il faut toutefois souligner ici que le simple fait qu’une personne ait la qualité d’administrateur dans les deux sociétés contractantes n’est pas un élément suffisant permettant de conclure à l’existence d’un conflit d’intérêt 6.
Par contre, il y a intérêt patrimonial indirect lorsque l’administrateur est aussi actionnaire ou associé de l’autre société, ou lorsque l’administrateur exerce un mandat d’administration rémunéré dans l’autre société 7.
L’idée maîtresse de la procédure à suivre est d’assurer la transparence du conflit d’intérêts. Ainsi, l’administrateur doit faire connaître son intérêt opposé aux autres administrateurs avant la délibération au conseil. Sa déclaration ainsi que les raisons sous-jacentes au conflit d’intérêts doivent figurer dans le procès-verbal du conseil. Ce procès-verbal sera soumis à l’assemblée générale lors du rapport de gestion annuel. De plus, le conflit d’intérêts doit être porté à la connaissance des commissaires, organes de contrôle externe.
Dans le cadre des sociétés qui font publiquement appel à l’épargne, une règle supplémentaire trouve à s’appliquer. L’administrateur concerné ne peut assister aux délibérations du conseil d’administration ou prendre part aux votes relatifs aux opérations en lien avec l’intérêt de l’administrateur 8.
En cas de violation de cette procédure, la société peut agir en nullité des décisions prises ou des opérations accomplies pour autant que la personne avec laquelle la société a traité avait ou devait avoir connaissance de cette violation 9. Quant à l’administrateur, il engage sa responsabilité lorsque la procédure n’a pas été respectée 10. Les autres administrateurs sont également responsables sauf si aucune faute ne leur est imputable et qu’ils ont dénoncé cette violation à l’assemblée générale ou lors de la première séance du conseil d’administration. Le Code prévoit aussi que, même si la procédure a été parfaitement suivie, les administrateurs sont solidairement responsables si la décision ou l’opération a procuré à l’administrateur un avantage financier abusif au détriment de la société 11. La sanction ne sera dès lors prononcée, qu’en cas d’une disproportion manifeste ou d’un déséquilibre évident entre l’avantage procuré à l’administrateur et le préjudice subi par la société 12.
Précisons enfin que la procédure de conflit d’intérêts ne trouve pas à s’appliquer, lorsqu’il est question de décisions ou d’opérations habituelles conclues dans des conditions et sous les garanties qui prévalent normalement sur le marché pour des opérations de même nature. Sont ainsi visés les actes que la société pose habituellement dans son fonctionnement journalier en vue de réaliser son objet statutaire 13.
De même, la procédure n’est pas d’application lorsque les décisions ou les opérations relevant du conseil d'administration concernent des décisions ou des opérations conclues entre sociétés dont l'une détient directement ou indirectement 95 % au moins des voix attachées à l'ensemble des titres émis par l'autre ou entre sociétés dont 95 % au moins des voix attachées à l'ensemble des titres émis par chacune d'elles sont détenus par une autre société 14.
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1. P. SOENS, « Le conflit d’intérêt de l’administrateur », Pacioli, 2011, n°317, p. 1.
2. Article 523, §1 du Code des sociétés ; P. HAINAUT-HAMENDE et G. RAUCQ, Les sociétés anonymes. Constitution et fonctionnement, 2005, Larcier, p. 482, n°381.
3. F. PARREIN, « De belangenconflictprocedure : de toepassing op de managementvennootschap en de nietigheidssanctie kritisch bekeken », TRV, 2010, p. 556.
4. P. HAINAUT-HAMENDE et G. RAUCQ, Les sociétés anonymes. Constitution et fonctionnement, 2005, Larcier, p. 483, n°381.
5. Bruxelles (9e ch.), 28 février 2002, J.L.M.B., 2003, p. 1258.
6. H. DE WULF, Taak en loyauteitsplicht van het bestuur in de naamloze vennootschap, Anvers, Intersentia, 2002, p. 594, n° 942.
7. P. SOENS, « Le conflit d’intérêt de l’administrateur », Pacioli, 2011, n°317, p. 2.
8. Article 523, § 1er du Code des sociétés.
9. Article 523, § 2 du Code des sociétés ; Anvers, 1er mars 1999, DAOR, 2000, p. 54.
10. Article 528 du Code des sociétés.
11. Article 529 du Code des sociétés.
12. Ph. ERNST, « Art. 529 W. Venn. », in Commentaar Vennootschappen en Verenigingen, Mechelen, Kluwer, 2000, p. 5.
13. Article 523, §3 du Code des sociétés ; Comm. Hasselt, 6 juin 2006, TRV, 2010, p. 567.
14. Article 523, §3 du Code des sociétés.