La sanction de l'abus de droit ne consiste pas dans l'interdiction pour le titulaire du droit d'user de celui-ci.
Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la sanction de l'exercice abusif d'un droit contractuel consiste à imposer, à son titulaire, l'exercice normal de ce droit ou à réparer le préjudice causé par l'usage abusif32. Le juge est libre de choisir parmi ces deux sanctions, celle qu'il estime la plus adaptée au regard de la forme et de la nature de l'abus.
Le pouvoir modérateur du juge lui permet donc de tempérer l'exercice du droit qui est incriminé et de le ramener dans les limites de son usage normal. Réduire le droit à son usage normal consiste simplement à imposer au titulaire du droit l'exercice normal de celui-ci33.
Cette réduction peut tout d'abord être une réduction mathématique. C'est sur cette base que le juge s'est vu reconnaître le pouvoir de réduire une clause pénale dont il estime le montant abusif34. La réduction du droit à son usage normal permet également aux cours et tribunaux de réduire ou suspendre le montant des intérêts moratoires réclamé par un créancier inactif35. Elle peut également s'appliquer lorsqu'un créancier a trop attendu pour assigner son débiteur en paiement du solde de factures36.
La réduction peut également consister dans le fait pour le juge de substituer une autre sanction à celle réclamée par le créancier, victime d'une inexécution, quand il estime que la sanction réclamée causerait au débiteur un préjudice disproportionné par rapport aux avantages qui en résulteraient pour le créancier. En effet, l'article 1184 du Code civil dispose que, dans les contrats synallagmatiques, le créancier, victime d'une inexécution, peut opter pour la résolution judiciaire du contrat ou exiger l'exécution en nature de la convention37. En cas d'abus dans l'exercice du droit de cette option, le titulaire du droit peut être contraint par le juge de choisir l'autre branche du droit (par exemple, la résolution au lieu de l'exécution forcée demandée)38.
La dernière forme de réduction consiste à octroyer au juge la faculté de réduire les hypothèses dans lesquelles une clause relative à l'inexécution peut être invoquée39. Dans certains cas exceptionnels, le juge peut en effet considérer que le créancier abuse de son droit en mettant en œuvre la clause car un créancier normalement prudent et diligent n'aurait manifestement pas invoqué celle-ci malgré la faute de son débiteur. La sanction consistera donc à priver le créancier du droit d'invoquer cette clause dans le cas d'espèce40. Cette troisième forme de réduction n'équivaut cependant pas à une déchéance de droit. En effet, la clause subsiste pour l'avenir, de sorte que le créancier puisse encore l'invoquer en cas de nouvelle inexécution fautive de la part du débiteur41.
La distinction entre la réduction du droit à son usage normal et la déchéance du droit est cependant fort subtile, notamment lorsque la clause n'est appelée à jouer qu'une seule fois (par exemple, une clause pénale qui sanctionnait l'interdiction d'aliéner l'immeuble pendant vingt ans)42.
La sanction de l'abus de droit peut également consister dans la réparation du préjudice causé par l'abus.
La réparation se fonde sur les principes de la responsabilité contractuelle. La victime de l'abus de droit doit donc démontrer l'existence de l'abus, lequel est assimilé à une faute, ainsi que celles du dommage et du lien de causalité43.
La réparation peut prendre la forme de dommages-intérêts. En outre, depuis un important arrêt de la Cour de cassation du 8 février 2001, il est également acquis que la réparation peut être non pécuniaire. La réparation en nature permet, dans ce cas, au juge de priver une clause contractuelle de tout effet44.
Par ailleurs, bien que la Cour de cassation ne la mentionne pas dans ses arrêts, il existe une autre sanction de l'abus de droit dont on trouve diverses applications par les juridictions du fond. Dans les contrats synallagmatiques, le créancier peut, si le manquement au principe de l'exécution de bonne foi est suffisamment grave, obtenir en justice la résolution du contrat45.
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32. Cass., 16 décembre 1982, Pas., 1983, I, p. 472.
33. Cass. 8 février 2001, Pas., 2001, p. 244.
34. Cass., 18 février 1988, Pas., I, p. 728. Depuis lors, l'article 1152 du Code civil reconnait expressément au juge le pouvoir de réduire le montant d'une clause pénale.
35. Liège, 8 octobre 2007, J.L.M.B., 2008/40, pp. 1800-1801.
36. Liège 26 février 1999, RRD 2000, p. 176.
37. Article 1184 du Code civil.
38. Cass., 16 janvier 1986, Pas., I, p. 602.
39. P. Wéry, « Les sanctions de l'abus de droit lors de la mise en œuvre des clauses relatives à l'inexécution des obligations contractuelles », in Mélanges Philippe Gérard, 2002, p. 135.
40. P. Wéry, Droit des obligations- Volume 1. Théorie générale du contrat, Larcier, 2011, p. 467.
41. Cass. 30 janvier 1992, RCJB 1994, p. 188.
42. P.A. Foriers « Observations sur le thème de l'abus de droit en matière contractuelle », R.C.J.B., 1994, p. 208.
43. P. Bazier, « Abus de droit, rechtsverwerking et sanctions de l'abus de droit, R.G.D.C., 2012/8, p. 398.
44. Cass. 8 février 2001, Pas., 2001, p. 244.
45. P. Wéry, Droit des obligations - Volume 1. Théorie générale du contrat, Larcier, 2011, p. 565.