Le principe est que toutes les libéralités sont soumises au rapport. En effet, la présomption légale relative à l'avance d'hoirie consentie à un héritier s'applique tant aux donations effectuées par le défunt de son vivant, que les legs prévus dans son testament. 15
En ce qui concerne les donations, il est utile de souligner que quelque soit la forme de celles-ci (authentique, manuelle 16, indirecte 17, déguisée 18), elles sont rapportables. En outre, même les donations consenties avec charge sont rapportables 19.
Pour ce qui a trait aux legs, ceux-ci sont également considérés comme étant une avance faite par le défunt à un héritier, plutôt qu'un avantage. 20
Or, contrairement aux donations qui mènent aux transferts de biens du vivant du défunt, les legs sont exprimés dans le testament qui ne sort ses effets qu'au décès du de cujus.
Au vue de ces éléments, nous pourrions nous interroger sur l'intérêt de consentir un legs à ses héritiers (qui prend effet qu'au décès) si ce n'est 'que' pour faire une avance et pas pour l'avantager vis-à-vis des cohéritiers.
En réalité, le legs qui n'est pas dispensé de rapport contient plusieurs avantages dans le chef du légataire. 21 D'une part, si l'héritier légataire renonce à la succession du défunt, il pourra toutefois accepter le legs (uniquement celui-ci). D'autre part, lorsque le legs est rapportable en valeur (moins prenant), le défunt, en faisant ce legs, garde l'égalité entre les cohéritiers mais détermine la composition du lot qui revient à son héritier légataire. 22
Cela étant, il existe une exception au principe selon lequel toutes les libéralités sont rapportables, c'est la dispense du rapport.
Il faut distinguer les dispenses de rapport prévues légalement, des dispenses de rapport consenties par le défunt.
Premièrement, la loi détermine un certain nombre d'exceptions au rapport des libéralités. Ainsi, les frais de nourriture, d'entretien, d'éducation, d'apprentissage, les frais ordinaires d'équipement, ceux de noces et présents d'usage, ne doivent pas être rapportés. 23 En outre, les fruits des biens rapportables, sont quant à eux, dispensés du rapport. En effet, « les fruits et les intérêts des choses sujettes à rapport ne sont dus qu'à compter du jour de l'ouverture de la succession ». 24
La loi dispense également de rapport l'immeuble qui a péri par cas fortuit et sans faute du donataire. 25
Deuxièmement, le de cujus, peut prévoir de son vivant que la libéralité faite soit consentie avec dispense de rapport de sorte qu'il ne s'agisse pas d'une simple avance sur la part dans la succession mais d'un avantage vis-à-vis des autres cohéritiers.
A cet égard, l'article 843 du Code civil énonce que « Tout héritier, même bénéficiaire, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donation entre vifs, directement ou indirectement : il ne peut retenir les dons ni réclamer les legs à lui faits par le défunt, à moins que les dons et legs ne lui aient été faits expressément par préciput et hors part, ou avec dispense du rapport. » 26
Bien évidemment, l'avantage octroyé un héritier doit toujours respecter les réserves de chacun des héritiers, sous peine de devoir être réduit. 27
Il est important de souligner que la dispense de rapport doit être déterminée expressément par le défunt, c'est-à-dire, qu'elle doit être certaine et non-équivoque. 28 Par conséquent, la dispense de rapport peut être expresse ou tacite 29, tant qu'elle est certaine.
Il est important de souligner que la dispense de rapport peut être indiquée postérieurement à l'acte de donation sous respect de certaines conditions. 30
Pour qu'il y ait dispense de rapport, l'acte en question ne doit pas revêtir une forme spécifique, il faut simplement que l'acte mentionne la volonté du disposant de dispenser la libéralité qu'il a consentie du rapport.
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15. A.-C. Van Gysel, « Le rapport des libéralités et des dettes », in Précis du droit des successions et des libéralités, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 536 et suivantes.
16. Bruxelles, 19 septembre 1996, A.J.T., 1997-1998, p. 458.
17. Liège, 7 mai 2000, Rev. not. b., 2000, p. 670.
18. Mons, 15 septembre 1992, Rev. not. b., 1995, p. 22.
19. H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, Tome VIII, vol. I, 2e éd., Bruxelles, Bruylant, 1962, p. 473, n° 395.
20. Article 843 du Code civil.
21. A.-C. Van Gysel, « Le rapport des libéralités et des dettes » in Précis du droit des successions et des libéralités, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 542 et suivantes.
22. L. Raucent, Les successions, p. 187, n° 308.
23. Article 852 du Code civil.
24. Article 856 du Code civil.
25. Article 855 du Code civil.
26. Article 843 du Code civil.
27. Article 844 du Code civil.
28. P. Delnoy, Les successions légales : Chronique de jurisprudence (1988-1997), p. 121, n° 83.
29. Anvers, 22 novembre 1989, T. Nod., 1990, p. 323.
30. Article 919 du Code civil ; Bruxelles, 30 mai 1967, Pas., 1967, II, p. 297.