Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 14 mai 1981 11, le conjoint survivant est également un héritier réservataire.
La réserve du conjoint survivant se compose d'une réserve abstraite et d'une réserve concrète. La réserve dite abstraite est équivalente à l'usufruit de la moitié de la succession du défunt. La réserve concrète est, quant à elle, équivalente à l'usufruit de l'immeuble servant de logement familial et les meubles meublants qui le garnissent. 12
En ce qui concerne le logement familial, l'idée du législateur est que le conjoint survivant puisse conserver son cadre de vie même après le décès de son conjoint. En outre, si le logement familial est affecté à une exploitation commerciale ou libérale, la partie qui revient en usufruit au conjoint survivant est uniquement celle qui est destinée au logement.
Par ailleurs, lorsque le logement familial n'est pas la propriété du défunt mais consiste en un bail ; le conjoint survivant a droit au bail à titre d'usufruitier dans le sens où, au décès du conjoint survivant, ce sont les héritiers du défunt qui pourront obtenir le droit au bail et non les héritiers du conjoint survivant venant de décéder.
La réserve abstraite et concrète ne se cumulent pas mais sont en concours l'une avec l'autre. Cela signifie que la réserve concrète doit être imputée sur la réserve abstraite.
Il existe deux possibilités : d'une part, l'usufruit portant sur la réserve concrète (logement familial et meubles meublants) est égal ou supérieur à la valeur de la réserve abstraite (moitié de la succession en usufruit), dans ce cas le conjoint survivant aura droit à la réserve concrète uniquement. 13
D'autre part, lorsque l'usufruit de la réserve concrète est inférieur à la moitié en usufruit de la succession (la réserve abstraite), le conjoint survivant bénéficiera de la réserve concrète ainsi que d'un complément afin d'obtenir au minimum la moitié de la succession en usufruit.
Cela étant, la réserve du conjoint survivant peut être supprimée dans plusieurs hypothèses :
Premièrement, lorsque les conjoints divorcent par consentement mutuel, les époux sont obligés de déterminer dans leurs conventions préalables à divorce ce qu'il adviendra de la réserve du conjoint survivant. 14 Ils peuvent ainsi prévoir que la réserve est soit supprimée, soit conservée, soit encore modalisée. 15
Deuxièmement, lorsque l'établissement d'une filiation a eu lieu pendant la durée du mariage et que la filiation est établie entre le conjoint et un tiers ; dans cette hypothèse, l'époux qui n'a pas sa filiation établie à l'égard de l'enfant, né de son conjoint avec un tiers pendant le mariage, pourra supprimer la réserve abstraite (uniquement). La suppression peut se faire par le biais d'un testament par exemple. 16
Troisièmement, si les époux sont séparés de fait, la réserve tant concrète qu'abstraite pourra être supprimée. 17 Toutefois, il y a quatre conditions qui doivent être respectées :18
- Le défunt doit avoir indiqué par testament sa volonté que son conjoint soit privé de sa réserve ;
- La séparation de fait doit être supérieure à six mois au jour du décès du conjoint ;
- Le défunt doit avoir demandé judiciairement la résidence séparée de celle de son conjoint ;
- Il ne faut pas qu'il y ait eu de reprise de la vie commune entre les conjoints.
Quatrièmement, la réserve abstraite (uniquement) peut être supprimée lorsqu'un des époux a eu au moins un enfant (adopté ou non) d'une relation antérieure au mariage des époux. Toutefois, le conjoint doit donner son accord 19 sur cette suppression. Soit par le contrat de mariage, soit par un acte modificatif de ce contrat. 20
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11. Loi du 14 mai 1981 modifiant les droits successoraux du conjoint survivant, M.B., 27 mai 1981, p. 6908.
12. F. Tainmont, « La loi du 22 avril 2003 relative aux droits successoraux du conjoint survivant », R.T.D.F., 4/2003, pp. 736 et suivantes.
13. P. Delnoy, « Les libéralités et les successions », in Précis de droit civil, 3e édition, Bruxelles, Larcier, 2009 , pp. 247 et suivantes.
14. P. Delnoy, « Succession légale du conjoint et divorce », Rev. not. b., 2009, pp. 306-314, n° 13.1 à 13.8 ; Cass., 6 mars 2009, Tijds. v. not., 2009, p. 355.
15. Article 1287 alinéa 3 du Code judiciaire.
16. Article 334ter du Code civil ; Doc. parl., Chambre, n° 378 (1985-1986), n° 16, p. 63.
17. Civ. Liège, 23 novembre 1995, R.T.D.F., 1997, p. 208.
18. Article 915bis, § 3 du Code civil.
19. P. Delnoy, « Le pacte Valkeniers », R.G.D.C., 2007, pp. 330-364.
20. Article 915bis, § 5 du Code civil et article 1388 alinéa 2 du Code civil.