Présentation des faits 1
Le 24 juin 1991, un maître de l’ouvrage (en l’espèce une SA) a confié à un entrepreneur (in casu une SPRL) la construction de quatorze maisons, pour un montant total de 33.400.000 de francs belges.
Une mission complète d’architecte avait préalablement été confiée à Monsieur X, le 26 septembre 1990.
Selon le cahier des charges, les travaux ont commencé en 1993. Le chantier a été entamé mais, un an après, les travaux ont été interrompus en raison de la non-délivrance du permis de bâtir.
N'ayant pas d'autre chantier en commande, l’entrepreneur a tenté d'obtenir de l'ONEm une mise en chômage économique de ses ouvriers, sans succès.
Le 31 octobre 1992, l’entrepreneur a adressé au maître de l'ouvrage des factures, destinées à faire supporter par celui-ci les salaires de ses ouvriers inoccupés pendant la période de suspension du chantier.
Le permis de bâtir a été obtenu par décision du 1er décembre 1992, à la suite de quoi les travaux sont repris. Les travaux ont été menés à bien mais, le maître de l’ouvrage a refusé de régler le montant des factures pour la période de suspension des travaux.
Par acte d'huissier du 25 avril 1994, l’entrepreneur, en liquidation depuis le 30 mars 1993, a assigné en justice le maître de l’ouvrage en paiement de cette somme.
Le maître de l’ouvrage a introduit une demande reconventionnelle en raison de malfaçons qui affecteraient les constructions. En outre, par acte d'huissier du 12 janvier 1995, elle a cité en intervention et garantie une société, censée être intervenue comme architecte du chantier, puis par acte du 14 mars 1995, l’architecte (Monsieur X) et, l’ingénieur.
Décision du Tribunal de commerce de Charleroi
Le Tribunal de commerce de Charleroi rappelle, tout d’abord, que le maître d'ouvrage est tenu de se procurer les autorisations administratives nécessaires pour la réalisation de l'ouvrage, au premier rang desquelles figure le permis de bâtir.
Le tribunal précise ensuite que, dans ce cadre, l'architecte est investi d'une obligation de conseil, qui ne lui impose cependant pas de se substituer à son client et de lui servir de commis pour toute démarche administrative ou autre en vue de l'obtention du permis.
Par ailleurs, l'article 64 de la loi du 29 mars 1962 sur l'aménagement du territoire sanctionne pénalement tous ceux qui construisent sans autorisation de bâtir, les peines étant aggravées lorsqu'il s'agit de professionnels. Dès lors, l'entrepreneur a l'obligation légale de se renseigner au sujet de cette autorisation, pour s'assurer qu'il ne s'expose pas à commettre une infraction à la législation sur l'urbanisme.
Le tribunal estime qu’en l’espèce, l’entrepreneur, n'étant pas en charge de l'obtention du permis de bâtir, est néanmoins fautif d'avoir cédé à l'injonction du maître de l'ouvrage de commencer les travaux en sachant ou en n'ayant pas vérifié que le permis de bâtir n'avait pas été octroyé. Conseillé par son architecte, le maître de l'ouvrage devait toutefois connaître les risques qu'il prenait en commandant le début des travaux et y a donc participé en parfaite connaissance de cause.
Dès lors, le Tribunal de commerce de Charleroi décide que chaque partie est responsable pour moitié du dommage résultant de l'arrêt du chantier, si bien que le préjudice de l’entrepreneur ne sera réparé que dans cette proportion.
Bon à savoir
Il appartient au maître de l'ouvrage d’entreprendre toutes les démarches administratives nécessaires à la réalisation de son ouvrage 2, dont la plus importante est assurément le permis d’urbanisme (dénommé précédemment permis de bâtir).
A cet égard, l’architecte est investi d’une obligation de conseil. Toutefois, cette obligation ne lui impose pas de se substituer au maître de l’ouvrage, peu diligent 3.
L’entrepreneur, quant à lui, est tenu de se renseigner au sujet de l’autorisation de bâtir, et ce, afin de s'assurer qu'il ne s'expose pas à commettre une infraction à la législation sur l'urbanisme 4.
Le non-respect des règles de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire entraîne, en effet, des sanctions administratives et pénales 5,6. Ces sanctions sont aggravées, lorsque les auteurs des infractions d’urbanisme sont des professionnels.
Architectes et entrepreneurs devront donc se montrer prudents !
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1. Tribunal de commerce de Charleroi, 29 octobre 1996, JLMBi, 1997, liv. 32, p. 1289.
2. J. Vergauwe, J., L'architecte, in Guide de droit immobilier, Waterloo, Kluwer, 2009, IV.2.3., p. 18.
3. P. Rigaux, Le droit de l’architecte – Evolution des 20 dernières années, Bruxelles, Larcier, 1993, p. 287.
4. Ph. Flamme et M.-A. Flamme, Le droit des constructeurs, Bruxelles, L’entreprise et le droit, 1984, n° 98.
5. Voy., à cet égard, P. Henry et F. Pottier, «L’architecte est l’entrepreneur face aux infractions d’urbanisme», in Liber amicorum Y. Hannequart et R. Rasir, Kluwer, 1997, pp. 179 à 230.
6. Concernant le permis d’urbanisme, Gand, 24 sept. 1999, T.M.R., 2000, p. 162 et Corr. Anvers, 15 mars 1999, T.R.O.S., 2000, p. 13.