Présentation des faits1
À partir du mois de mai 1983, la Société P. a entamé des négociations avec la Société W., par la suite rachetée par la Société C., en vue d’aboutir à la signature d’un contrat de concession exclusive de vente de produits cosmétiques et de parfum pour la Belgique et le Luxembourg.
La Société C., par une lettre du 23 avril 1984, a mis fin de manière brutale aux négociations pourtant déjà avancées entre les parties. La Société C. n’explique en effet pas les raisons de cette rupture.
En effet, dès le mois de juillet 1983, la Société W. a commencé à préparer un projet de contrat, qui sera ensuite modifié à de nombreuses reprises entre septembre 1983 et janvier 1984. Le 20 janvier 1984, la Société C. a en effet marqué son accord concernant le dernier projet de contrat, sous réserve de quelques modifications.
La Société P. a introduit une action en justice, non seulement contre la Société C., mais également contre la Société O., la société étant à l’origine de la rupture des négociations. La question d’une éventuelle tierce-complicité de sa part s’est posée.
Décision
Concernant l’action en responsabilité contre la Société C.
La Cour d’appel constate que les parties, à savoir la Société P. et la Société W., ont marqué leur accord sur les éléments essentiels de leur coopération commerciale. Elles étaient en effet d’accord sur le territoire, le quota de vente, le prix de vente, les modalités de paiement et l’établissement de rapports mensuels de vente.
A cet égard, la Cour relève également que la Société P. a lancé les marques et les produits de la Société C. sur les marchés belges et luxembourgeois, et a pour ce faire déboursé de nombreux frais publicitaires.
Compte tenu des circonstances entourant la rupture des négociations, la Cour considère que l’existence d’une « culpa in contrahendo » est établie. En effet, la Société C. a manqué de prudence. Étant donné que les négociations étaient déjà à un stade avancé, la Société P. a effectivement pu légitimement croire que la conclusion du contrat était imminente. C’est pourquoi, la confiance légitime de la Société P. a été trompée par le comportement de la Société C.
Concernant l’action en responsabilité contre la Société O.
La Cour d’appel constate que les parties sont d’accord pour reconnaitre qu’aucune tierce-complicité ne peut être reprochée à la Société O. dès lors qu’il n’existe aucun contrat.
La Cour estime toutefois qu’il ressort des pièces du dossier que c’est la Société O. qui est à l’origine de la rupture des négociations précontractuelle, et ce toute connaissance de cause.
En conséquence, la Cour considère que c’est à bon droit que le premier juge a estimé que la Société O. avait commis, avec la Société C., une faute commune en contribuant à causer sciemment un préjudice à la Société P. Pour cette raison, la Cour condamne les deux sociétés à réparer le dommage causé à la Société P.
Bon à savoir
La culpa in contrahendo est une construction doctrinale et jurisprudentielle visant les violations commises dans le cadre des relations précontractuelles2.
Conformément au principe de la liberté contractuelle3, les parties restent bien entendu libres de ne pas conclure le contrat, même après avoir entamé des négociations. Cette liberté n’est cependant pas absolue et les parties peuvent voir leur responsabilité engagée en raison du comportement qu’elles ont adopté durant les négociations4.
Cette obligation impose aux parties d’avoir un comportement loyal et honnête l’une envers l’autre5. Il est important de souligner que la rupture en soi n’est pas fautive6, mais uniquement le comportement adopté par l’une des parties peut engager la responsabilité de cette dernière7.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Bruxelles (4e ch.), 5 février 1992, J.T., 1993, p.130.
2. B. DE CONINCK et C. DELFORGE, « La rupture des négociations et le retrait intempestif de l’offre. Régime général et sanctions », in Le processus de formation du contrat, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 77; M. COIPEL, Eléments de théorie générale des contrats, Anvers, Story-Scientia, 1999, p. 31.
3. M. BERLINGIN., « La formation dynamique du contrat de vente », in Manuel de la vente, Kluwer, Waterloo, 2010, pp. 37 et suivantes.
4. M. DUPONT, « La culpa in contrahendo : une application particulière de la responsabilité civile (note d'observations sous Liège, 3e ch., 7 mai 2008) », For. Ass., 2009/2, n° 92, p. 50.
5. Ph. MARCHANDISE, « La libre négociation. Droits et obligations des négociateurs », in Le droit
des affaires en évolution. Le juriste dans la négociation, Bruxelles, Bruylant, Anvers, Kluwer,
1998, p. 10.
6. Comm. Liège (6 ech.), 26 avril 2012, R.G.D.C., 2014/6, p. 273-277.
7. Bruxelles, 5 février 1992, J.T., 1993, p. 130.