Présentation des faits1
Au mois de décembre 1954, Monsieur B. a vendu à Monsieur R. plusieurs objets, et notamment deux fauteuils garantis d’époque Louis XIV.
Monsieur R. a ensuite voulu vendre les meubles en question et a demandé une estimation de leur prix par des experts. Ces experts ont déclaré que les meubles n’étaient en réalité pas de l’époque Louis XIV.
Monsieur R. a toute de suite averti Monsieur B. qui a alors proposé de racheter les meubles au double du prix d’achat.
Un expert judiciaire a constaté que les meubles n’étaient pas authentiques mais dataient en réalité d’une époque relativement récente.
La fille de Monsieur R., décédé entre temps, Madame J., a introduit une action en justice contre Monsieur B. Cette action vise à obtenir la nullité de la vente pour cause d’erreur et à obtenir le paiement de dommages et intérêts.
Décision
Le Tribunal commence par établir qu’il existe trois actions lorsqu’une différence existe entre la chose remise à l’acheteur et ce qui était attendu. Ces trois actions, fondées respectivement sur les articles 1109, 1184 et 1641 du Code civil, répondent chacune à des conditions propres et engendrent des effets différents.
Un critère de distinction important entre ces trois actions peut être trouvée dans l’agréation de la chose, puisqu’en effet une fois que la chose a été agréée, il n’est plus possible de recourir à l’action en exécution ou en résolution pour manquement à l’obligation de délivrance, soit celles basées sur les articles 1610, 1611 et 1184 du Code civil. Seuls l’action en nullité pour erreur et l’action pour vices cachés restent ouvertes.
En l’espèce, le Tribunal constate que l’acheteur a tacitement agréé la chose, ce qui couvre les vices apparents et la conformité de la chose livrée à la chose vendue. En effet, quinze ans se sont écoulés depuis la livraison par Monsieur B. et l’acceptation sans réserve par Monsieur R.
Dès lors que le Tribunal n’a pas été saisi sur base des articles 1641 et suivants du Code civil, le Tribunal estime que la seule action possible en l’espèce est celle fondée sur l’existence d’un vice de consentement, à savoir l’existence d’une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue, basée sur l’article 1110 du Code civil.
Le Tribunal établit en outre une différence entre la nullité d’une opération qui était atteinte d’un vice dès le départ, et la résolution d’une opération parfaitement valable au moment de sa conclusion mais qui a été atteinte par une circonstance postérieure à la formation de l’acte.
A cet égard, une partie de la doctrine considère que la nullité pour cause d’erreur serait plutôt utilisée lorsque le contrat s’est formé en présence de l’objet acheté, comme en l’espèce, tandis qu’il serait plus opportun d’avoir recours à la résolution lorsque l’acheteur n’a pas eu l’occasion de voir la marchandise au moment de la conclusion du contrat, et n’a par conséquent pas pu la distinguer par ses qualités spécifiques. Le Tribunal considère toutefois que cette distinction n’est pas suffisante pour expliquer la pratique.
Il a en effet été jugé que lorsque la vente a lieu avec présentation de l’objet et que le vendeur assure à l’acheteur que l’objet possède certaines caractéristiques, par exemple son ancienneté ou son année de construction, il ne s’oblige pas à faire en sorte que les meubles soient de l’année garantie. Le vendeur se borne en effet à affirmer un fait.
En l’espèce, le Tribunal constate que le vendeur admet que la vente a porté sur des meubles individualisés au moment de la vente. L’individualisation en question a donc clairement été comprise dans le champ contractuel.
Le Tribunal considère cependant que Monsieur B. n’a pas manqué à son obligation de délivrance.
Pour le surplus, l’amateur achetant un meuble de style, dont le consentement a été influencé par le fait qu’il le croyait à tort d’époque, se trompe sur une qualité substantielle de la chose. Cette position adoptée par le Tribunal, et admise en doctrine, vaut notamment lorsque les parties ont exprimé par une stipulation formelle de garantie leur commune intention de faire figurer l’ancienneté dans l’économie du contrat. Cette garantie démontre en outre l’importance de cette qualité pour l’une des parties.
Eu égard à tous ces éléments, le Tribunal estime que le consentement de l’acheteur était vicié et qu’il y a lieu d’ordonner la nullité pour erreur dans le chef de Madame J. puisque cette dernière avait donné son consentement sur des meubles individualisés lors de la formation du contrat qui ne correspondaient pas, sans qu’elle en ait connaissance, aux meubles d’époque qu’elle désirait acquérir.
Bon à savoir
Dans le cadre de la phase précontractuelle, trois hypothèses peuvent se présenter : soit le contrat n’est pas conclu, soit il est conclu mais annulé car affecté d’un vice, soit le contrat est conclu et maintenu.
Lorsqu’un contrat de vente est conclu entre deux parties, et que celui-ci est par la suite annulé, la responsabilité précontractuelle d’une des parties peut être engagée en raison de son comportement fautif lors de la phase précontractuelle.
En effet, dans une telle hypothèse, le contrat a bien été conclu mais est atteint d’un vice affectant sa validité, et est dès lors annulé. Pour appel, les vices de consentement sont les suivants, le dol2, la violence, la lésion qualifiée ou l’erreur3.
La réparation du dommage pourra consister dans le remboursement des sommes dépensées dans le cadre de la conclusion du contrat ou encore dans la compensation de la perte de temps.
Là aussi, le dommage pourra être réparé en demandant le remboursement des charges et des dépenses encourues dans le cadre de la conclusion du contrat, la perte de temps, etc.
Par exemple, lorsque qu’un vendeur vend des meubles « garantis d’époque Louis XIV » et que l’acheteur se rend compte par la suite qu’ils ne sont en réalité pas authentiques, il peut obtenir l’annulation de la vente pour cause d’erreur sur un élément essentiel du contrat.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Comm. Bruxelles (8e ch.), 24 juin 1975, J.C.B., 1976, p.131.
2. Cass., 2 mai 1974, Pas., I, p. 906.
3. Comm. Bruxelles, 24 juin 1975, JCB., 1976, p. 131.