Présentation des faits1
Par un « compromis de vente » sous seing privé datant du 24 mai 1989, la S.A. Ch. a vendu à la S.P.R.L. V. une partie d'immeuble pour un prix de 1.000.000 BEF.
Il était prévu dans ce compromis de vente que la propriété et la jouissance du bien ne seront transférées d'une partie à l'autre qu'au jour de la signature de l'acte authentique.
Toutefois, aucun acte authentique de vente n'est intervenu.
Par la suite, en juin 1991, la S.P.R.L. V. a assigné la S.A. Ch. devant le Tribunal civil afin de réclamer sa condamnation à passer l'acte authentique de vente.
La S.A. Ch. a formé une demande reconventionnelle tendant à la résolution de la vente aux torts de la S.P.R.L. V.
Par jugement du 14 juin 1994, le premier juge a prononcé la résolution de la vente aux torts de la S.P.R.L. V. et l'a condamnée à payer des dommages-intérêts à la S.A. Ch.
La Cour d'appel de Mons a confirmé ce jugement en 1998.
Par la suite, se prévalant du compromis de vente du 24 mai 1989, l'Administration de la T.V.A., de l'Enregistrement et des Domaines a réclamé le paiement tant au vendeur qu'à l'acheteur du droit d'enregistrement proportionnel de 12,5 % sur le prix de la vente, soit un montant de 125.000 BEF.
Le 7 juin 1996, une contrainte a été décernée à leur encontre pour un montant de 245.000 BEF, à titre de droit d'enregistrement et d'amendes.
Les deux parties ont formé opposition à contrainte le 25 juin 1996.
Décision du Tribunal
La Cour constate qu’il a été prévu dans le compromis de vente que la propriété et la jouissance du bien ne seront transférées d'une partie à l'autre qu'au jour de la signature de l'acte authentique. Selon la S.P.R.L. V., il s’agit d’une condition suspensive. Pour cette raison, elle estime que le compromis n'était pas un acte translatif de propriété d'immeuble, l'acte translatif taxable étant l'acte authentique. Toujours selon la S.P.R.L. V., aucun droit d’enregistrement n’est dû, puisqu’aucun acte authentique n’a été passé.
Quant à la S.A. Ch., elle invoque l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 9 janvier 1998 de la Cour d'appel de Mons, estimant que la résolution prononcée implique qu'il y avait bien eu vente. La S.P.R.L. V. le conteste en invoquant la relativité de la chose jugée.
A cet égard, la Cour rappelle que conformément à l'article 23 du Code judiciaire, un jugement ne produit d'effets qu'entre parties mais que le jugement, par son existence même, modifie l'ordonnancement juridique et cette modification, objectivement, doit être reconnue et respectée par tous.
La S.A. Ch. peut dès lors se prévaloir de la force probante des décisions intervenues même si elle n'y était pas partie.
La Cour estime qu’il est possible de déduire du prononcé de la résolution de la vente que celle-ci était bien intervenue, de sorte que le droit d’enregistrement est dû.
Pour le surplus, la Cour considère que c’est à tort que la S.P.R.L. V. soutient que la clause précitée constituait une condition suspensive. En effet, la condition est l'événement futur et incertain auquel est subordonnée soit l'exécution soit l'extinction d'une obligation. En conséquence, c’est l’incertitude de l’évènement futur qui est l’élément essentiel permettant de différencier la condition suspensive du terme suspensif.
Quant à l'incertitude, celle-ci doit être objective, c’est-à-dire indépendante de la volonté des parties.
Les juges sont d’avis qu’une telle incertitude ne se retrouve pas dans la clause en question, laquelle ne constitue pas une condition mais uniquement une clause retardant le transfert de propriété. Le contrat de vente existe entre parties et est valide dès le moment où l'échange des consentements a été opéré.
En l’espèce, les juges rappellent que la vente s’est réalisé par la signature du compromis de vente, lequel contient l'accord, inconditionnel, des parties sur la chose vendue et son prix.
Selon les juges, c'est à bon droit que la S.A. Ch. a réclamé le droit d'enregistrement litigieux.
Bon à savoir
Le contrat de vente s'articule autour du transfert de propriété du bien en contrepartie du paiement d'un prix déterminé par les parties.
Même s’il est vrai que les articles 1138 et 1583 du Code civil prévoient que le droit de propriété est transmis par le vendeur à l’acheteur dès qu’intervient l’échange de consentements.
A cet égard, il est cependant utile de mentionner que le transfert de propriété ne doit pas nécessairement se produire à l’instant même de la conclusion du contrat. En effet, le transfert peut être retardé soit par une disposition légale2, soit par une convention entre parties3 (clause de réserve de propriété), soit par les usages4.
Lorsque les parties insèrent une clause selon laquelle la propriété et la jouissance du bien vendu ne seront transférés qu’au jour de la signature de l’acte authentique, cette clause ne constitue pas une condition suspensive, mais uniquement une clause retardant le transfert de propriété.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Civ. Charleroi (2e ch.), 20 juin 2001, Rec. gén. enr. not., 2002, p. 115.
2. Ventes de choses de genre, ventes de choses futures, ventes à tempérament et financement, etc.
3. A cet égard voyez : F. GEGORGES, Insolvabilité et garanties, Bruxelles, Larcier, CUP volume 153, 2014, pp. 63 et suivantes.
4. En matière de ventes maritimes.