Présentation des faits1
Le 22 juillet 2008, Madame G., mandatée par son frère, Monsieur G., pour procéder à la vente de son immeuble, conclut avec la SA A. une convention, aux termes de laquelle elle lui donne mandat de trouver un acheteur pour son immeuble situé à Bruxelles, pour un prix de 185.000 EUR, avec possibilité de le réduire à 175.000 euros.
Une commission de 3,5% sur le prix de vente sera due à la SA A. Toutefois, si aucun acquéreur n'est trouvé ou si la vente ne peut être parfaite en raison d'une condition indépendante de la volonté du propriétaire, celui-ci n'est redevable d'aucune indemnité. Aucune autre forme d’indemnisation n’est prévue à l’égard de l’une ou l’autre partie.
Conclue pour une durée initiale de six mois à dater du 25 juillet 2008, la convention est tacitement renouvelable pour des périodes successives d'un mois.
Le 29 septembre 2008, madame N. émet une offre ferme d'acquisition du bien pour le prix de 165.000 euros. Madame G. contresigne cette offre pour accord le 15 octobre 2008.
Le 3 février 2009, un compromis de vente est signé en l'étude des notaires W. et N, prévoyant en faveur de l'acquéreur une condition suspensive d'octroi d'un prêt hypothécaire dans les quinze jours.
Le 18 février 2009, la SA A. invite Madame G. à lui payer la commission qu’elle estime due, soit la somme de 6.987,75 euros (5.775 euros + TVA).
Le 22 février 2009, Madame G. conteste cette réclamation, faisant valoir que la condition suspensive du compromis de vente ne s'est pas réalisée, de sorte que la vente est devenue caduque et que la commission n'est pas due.
Après mise en demeure adressée à Madame G. et restée infructueuse, la SA A. l’a ensuite citée en paiement devant le tribunal de première instance de Bruxelles.
Décision du Tribunal civil de Bruxelles
Sur la recevabilité de l'action
Le Tribunal civil de Bruxelles rappelle tout d’abord que l’action de la SA A. n’est recevable que si le contrat dont elle poursuit l’exécution a été conclue dans le respect des conditions légales d’accès à la profession et de port du titre d’agent immobilier. En effet, le contrat conclu avec un agent immobilier qui n'a pas satisfait à ces conditions légales est contraire à l'ordre public et frappé de nullité absolue
Le tribunal estime que c’est à la SA A., en sa qualité de demanderesse, qu’il appartient de rapporter la preuve de la régularité de la convention qu'elle a conclue avec Madame G.
En l’espèce, le contrat litigieux a été conclu par Monsieur R., entré au service de la SA A. le 14 juillet 2008.
Conformément à l’article 3 de la loi-cadre du 1er mars 1976 réglementant la profession de l’agent immobilier et l’exercice des professions intellectuelles et à l’article 3 de l’arrêt royal d’exécution du 6 septembre 1993, Monsieur R. ne devait pas être inscrit à l'IPI, pour autant qu'il ne se prévale pas du titre d'agent immobilier, ce qui ne semble pas avoir été le cas.
Le contrat litigieux a donc été conclu dans le respect des règles régissant l'accès à la profession et le port du titre d'agent immobilier.
Eu égard à ces considérations, le tribunal civil de Bruxelles déclare la demande de la SA A. recevable.
Sur la demande principale
Le tribunal civil de Bruxelles rappelle tout d’abord qu’en vertu de l'article 1315 du Code civil, il incombe à la SA A. de démontrer que les conditions prévues par la convention conclue avec Madame G. pour qu'elle puisse obtenir sa commission, à savoir la signature d’une offre ferme, celle d’un compromis de vente et le paiement d’une garantie de plus au moins 10% du prix de vente, sont remplies.
En l’espèce, ces conditions ne sont toutefois pas réunies. En effet, si un compromis de vente a été signé, la garantie contractuellement prévue n'a pas été constituée. Il importe donc peu que la vente conclue entre les parties doive ou non être considérée comme parfaite. L'imputabilité de la non-réalisation de la vente est de même totalement indifférente.
Au demeurant, aucun grief ne peut être adressé à cet égard à Monsieur G. ou à sa mandataire.
Le Tribunal civil estime, par ailleurs, qu’il doit être tenu compte de l'arrêté royal du 12 janvier 2007 réglementant les contrats d'intermédiaire d'agents immobiliers, lequel impose que ceux-ci soient conclus par écrit et contiennent notamment la clause prévoyant que « dans le cas où la vente ou la location n'a pas lieu suite à la réalisation d'une condition, aucun honoraire ni commission n'est dû par le consommateur »2.
Selon le tribunal, la légalité de la clause figurant dans la convention litigieuse est discutable, dans la mesure où elle ne vise que l'hypothèse d'une condition indépendante de la volonté du propriétaire, ce qui apparaît plus restrictif que le texte légal.
En outre, l'attitude de la SA A. lui permet de contourner les dispositions de l'arrêté royal du 12 janvier 2007, qui sont impératives. En l’espèce, la SA A. a méconnu le devoir de conseil qui lui incombait en qualité de professionnel de l'immobilier, en soumettant à son client de préférence une offre d'acquisition ne contenant aucune condition suspensive dans le seul but de percevoir sa commission. L’agence s’en est abstenue afin de pouvoir considérer la vente comme parfaite et percevoir ainsi sa commission. De la sorte, l’agence a plus agi dans son intérêt que dans celui du client.
Par conséquent, le tribunal civil de Bruxelles considère que la SA A. ne se trouvant pas dans les conditions prévues pour réclamer le paiement de sa commission, sa demande doit être déclarée non fondée.
Sur la demande reconventionnelle
Le tribunal civil de Bruxelles observe que la seule rémunération prévue par contrat est le paiement d'une commission en cas de conclusion de la vente. Aucune autre forme d'indemnisation n'est prévue.
Le tribunal estime que c’est de manière indue que la SA A. a perçu une somme de 350 euros, de sorte qu’elle en doit le remboursement.
Par conséquent, il déclare la demande reconventionnelle fondée.
Bon à savoir
La vente d’un bien, sous réserve de l’obtention d’un prêt, est considérée comme une convention dont les obligations sont soumises à une condition suspensive3. Il est de l’intérêt du vendeur d’un bien immobilier de conclure un contrat de vente sous condition suspensive de l’octroi d’un prêt hypothécaire à l’acquéreur. Cette pratique permet de protéger le vendeur contre l’insolvabilité de l’acquéreur et lui évite les coûts liés à une procédure judiciaire en exécution forcée ou en résolution.
En tant que professionnel de l’immobilier, l’agent immobilier a un devoir de conseil envers ses clients. Il doit tenir compte du fait que ses clients n’ont pas toujours les connaissances et la compréhension des situations juridiques relatives à la propriété immobilière4. Le conseil doit notamment porter sur l’intérêt d’une telle condition suspensive pour le vendeur de l’immeuble. L’agent qui ne renseigne pas son client sur les bénéfices d’une telle clause commet une faute en privilégiant son intérêt économique à celui de ses clients.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
_______________
1. Tribunal civil Bruxelles (11e chambre), 2 mai 2010, J.L.M.B., 2012/30, pp. 1440-1445.
2. Article 2, 8° de l'arrêté royal du 12 janvier 2007 réglementant les contrats d'intermédiaire d'agents immobiliers.
3. S. Stijns, D. Van Gerven et P. Wéry, « Les obligations : le régime général de l’obligation (1985-1995) », J.T., 1999, pp. 821 et s.
4. Bruxelles, 28 janvier 1999, J.T., 1999, p. 624.