Présentation des faits1
La SCRL S. et Monsieur M. ont conclu un compromis de vente le 6 février 2003. La vente a été conclue sous les conditions suspensives suivantes :
- Obtention de l’accord du créancier hypothécaire,
- Non-exercice, à condition égale, du droit de préférence accordé aux coopérateurs de la SCRL S. en liquidation,
- Obtention de l’accord du Ministère des Affaires économiques.
Un droit de préférence avait ainsi été accordé aux coopérateurs de la SCRL S. dans les conditions suivantes : « ... aucune vente immobilière ne pourra avoir lieu à un prix inférieur à l'évaluation qui en sera faite par un notaire de l'arrondissement du lieu de la situation du bien à aliéner ... et, qu'à conditions égales, les coopérateurs de la SCRL. S. puissent acquérir les biens immobiliers offerts en vente par préférence à tous autres candidats acquéreurs, les coopérateurs de la SCRL. S. exerçant ce droit de préférence par l'entremise du représentant qu'ils désignent à cet effet en la personne de monsieur S.V. ».
Dans les faits, un des coopérateurs de la SCRL. S., la SA. F., a exercé son droit de préférence. La question s’est posée de savoir s’il avait valablement exercé son droit de préférence.
Décision de la Cour d’appel de Mons
Concernant la deuxième condition suspensive, la Cour constate qu’il s’agit d’une condition négative permettant à la vente de sortir ses effets si les coopérateurs de la SCRL S. renoncent à exercer leur droit de préférence.
La Cour rappelle également que pendente conditione, la convention existe mais que l’exécution des obligations est suspendue, tandis que lorsque la condition se réalise, l’engagement devient définitif avec effet rétroactif. Toutefois, si la condition ne se réalise pas, la convention cesse d’exister pour l’avenir.
Par conséquent, si un des coopérateurs a exercé son droit de préférence de manière régulière, la condition suspensive négative ne sera pas réalisée, et la convention de vente cessera d’exister pour l’avenir.
C’est pourquoi, la Cour analyse la question de savoir si un des coopérateurs, à savoir la SA F., a effectivement exercé son droit de préférence de manière régulière. La Cour s’en réfère à la clause par laquelle le droit de préférence lui avait été accordée, afin d’en analyser les conditions.
Tout d’abord, il ne peut exercer son droit de préférence qu’à propos de « biens immobiliers offerts en vente ».
A cet égard, Monsieur M. considère que ce n’est plus le cas dès lors qu’un compromis de vente était intervenu entre lui-même et la SCRL S. Par conséquent le bien n’était plus « offert à la vente ».
Toutefois, faisant référence aux articles 1156 et 1175 du Code civil, la Cour estime que cette argumentation est déraisonnable et ne correspond pas à la volonté des parties.
En effet, les coopérateurs de la SCRL S. peuvent seulement avoir connaissance des conditions de vente proposées par le candidat acquéreur et acceptées par le vendeur à partir du moment où le compromis de vente est signé. En l’absence d’offre acceptée par le vendeur, cela reviendrait effectivement à dire que les coopérateurs auraient le droit d’acheter aux mêmes conditions que celles proposées par un candidat acquéreur dans une offre d’achat, alors même que l’offre en question aurait été déraisonnable et refusée par la SCRL S.
La Cour décide donc que les coopérateurs de la SCRL S. pouvaient exercer leur droit de préférence postérieurement à la signature du compromis de vente intervenue le 6 février 2013.
Ensuite, concernant le délai pour manifester le droit de préférence, la Cour constate que ni le compromis de vente ni la clause conférant le droit de préférence ne font état d’un délai dans lequel les coopérateurs peuvent exercer leur droit de préférence.
Faisant référence à l’article 1177 du Code civil, la Cour considère en l’espèce qu’il ne peut être certain que le droit de préférence ne s’exercera pas qu’à la signature de l’acte authentique, mais que toutefois il n’est pas possible de permettre à la SCRL S. de différer indéfiniment dans le temps la passation de l’acte authentique, tant que les coopérateurs n’auraient pas pris position.
La Cour invoque également l’article 1134 du Code civil et le principe d’exécution de bonne foi des conventions pour affirmer qu’il revenait à la SCRL S. de faire en sorte que les coopérateurs soient au courant du projet d’acte authentique, et de signer celui-ci le plus rapidement possible. La SCRL S. ne pouvait par conséquent pas attendre indéfiniment une prise de position de leur part qui ne viendrait pas.
Partant, la Cour estime que la SA F. a valablement exercé son droit de préférence à propos du bien immeuble acquis sous condition suspensive par Monsieur M. Par conséquent, la condition suspensive du non-exercice par les coopérateurs de la SCRL S. de leur droit de préférence ne s’étant pas réalisée, le compromis de vente conclu entre la SCRL et Monsieur M. a cessé de produire ses effets.
Bon à savoir
Le droit de préemption, ou pacte de préférence, est un droit reconnu à une personne, et lui permettant d’avoir priorité sur tout autre candidat dans l’hypothèse où le bien viendrait à être mis en vente2.
Concernant les modalités de l’exercice du droit de préemption, en pratique le pacte de préférence est rarement exprimé de manière détaillée. Il n’est toutefois indiqué nulle part que les modalités du pacte de préférence doivent être détaillées, et la validité de ce dernier n’est par conséquent nullement altérée par le fait qu’il est pas précis3.
Il appartient aux parties de déterminer librement les modalités relatives à la notification de la vente et à l’exercice du droit de préférence4.
A défaut d’avoir énoncé des précisions dans le pacte de préférence, le principe est que le droit doit être exercé dans un délai raisonnable. A cet égard, si un compromis de vente est conclu sous la condition suspense du non-exercice du droit de préférence accordé à un tiers sur le bien mis en vente, le vendeur doit faire en sorte que ce tiers ait connaissance du projet d’acte authentique. Toutefois, le vendeur ne peut pas différer indéfiniment dans le temps la passation de l’acte authentique tant que le tiers n’a pas pris position.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Mons (2e ch.), 19 avril 2010, J.L.M.B., 2012/11, p. 500.
2. Voyez : E. BEGIUN, « Droit de préemption : quelques réflexions liées à la pratique notariale », Rev. dr. rur. , 2003, pp. 85 et suivantes.
3. Bruxelles, 6 mai 2009, Rev. not. belge., 2009 p. 836.
4. P. RENIERS, «Droit de préemption – Les notifications modalisées», in Les baux. Actualités législatives et jurisprudentielles, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 209 ; Mons, 14 juin 2005, J.L.M.B., 2009, p. 153; Civ. Dinant, 26 février 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1821.