Présentation des faits1
Monsieur P. a acquis un véhicule d'occasion auprès de la SPRL D.
Monsieur P., lors d'un entretien chez un autre garagiste, s'est toutefois rendu compte que le véhicule avait été accidenté antérieurement. Or, le bon de commande et la facture du véhicule mentionnait expressément l'inverse.
Monsieur P. a alors assigné la SPRL D. en annulation de la vente pour dol. Un premier jugement a été rendu le 15 octobre 1998. Dans cette décision, le premier juge a estimé que la vente était nulle pour cause d'erreur et que la nullité devait opérer avec effet rétroactif, entrainant dès lors des restitutions réciproques. Le Tribunal a également ordonné une vue des lieux afin de vérifier l'état du véhicule.
Toutefois, entre le moment du prononcé de la décision en question et le jour fixé pour la vue des lieux, le véhicule en question a été détruit lors d'un incendie volontaire. A cet égard, la gérante de la SPRL D. et son frère ont fait l'objet de poursuites pénales pour incendie.
Dans un arrêt interlocutoire du 03 décembre 2001, les juges ont reçu les appels et la demande nouvelle et ont déclaré que la nullité de la vente avait pour cause le dol de la SPRL D. et ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de conclure sur la question du fondement de la demande en restitution du prix.
La Cour d'appel de Mons a ensuite été saisie afin de statuer sur le fondement de la demande formée originairement par Monsieur P. et tendant à la restitution du prix de la vente, après déduction de l'indemnité perçue de son assureur et de la valeur de l'épave.
Décision
Sur les conséquences de l'annulation de la vente, la Cour rappelle qu'une telle annulation agit avec effet rétroactif et crée des obligations de restitutions réciproques dans le chef des deux parties. Le vendeur doit en effet restituer le prix et l'acquéreur doit restituer la chose vendue.
Conformément à l'article 1302 du Code civil, la Cour constate que la disparition de la chose par cas fortuit, survenue après l'annulation de la vente, libère l'acquéreur de son obligation de restitution.
La Cour s'est ensuite posé la question de savoir si cette libération entrainait la libération corrélative du vendeur de restituer le prix de vente. La Cour précise à cet égard qu'en l'espèce, cette question doit s'analyser en tenant compte du caractère synallagmatique des obligations nouvelles nées de l'annulation mais également de la nature translative de propriété du contrat annulé, de la cause spécifique de la nullité et des effets ex tunc de l'annulation de la vente.
Premièrement, la nature synallagmatique des obligations nées de l'annulation du contrat conduit la Cour d'appel à mettre le risque de la disparition d'une chose à charge du débiteur de l'obligation de restituer cette chose, et libère dès lors corrélativement son cocontractant de l'obligation de restituer la contre-prestation originaire.
Cette théorie générale connait toutefois une exception en matière de contrat synallagmatique translatif de propriété. En effet, la Cour rappelle le contenu de l'article 1138 du Code civil, selon lequel il est mis à charge du créancier de l'obligation de livrer une chose certaine le risque de la disparition de chose par cas forfuit, ce dès l'échange des consentements et peu importe que la chose ait été livrée ou non, pour autant que le débiteur de l'obligation de livrer n'ait pas été mis en demeure de réaliser la livraison.
Ensuite, puisque l'annulation d'une vente opère rétroactivement, et implique dès lors la remise des parties dans la même situation que si la vente n'avait pas eu lieu, la Cour estime qu'il est logique que le vendeur soit considéré comme étant resté propriétaire de la chose depuis le début, et devant à ce titre subir le risque résultant de la disparition de la chose par cas fortuit sans être libéré de son obligation de restituer le prix.
Enfin, la Cour décide qu'il ne saurait pas être fait abstraction, en l'espèce, de la cause de la nullité de la vente, à savoir le dol du vendeur. C'est pour cette raison que la Cour estime qu'il est justifié d'appliquer l'adage « nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans » dans le but de décourager la conclusion de conventions de ce type, et décide que le vendeur est tenu, même après l'annulation de la vente d'une chose qui a péri par cas fortuit, de l'obligation de restituer le prix à l'acheteur.
La Cour estime dès lors que Monsieur P. est fondé à obtenir la restitution du prix de la vente, déduction faite de l'indemnité qui lui a été versée par son assureur.
Bon à savoir
Le transfert des risques, tout comme le transfert de propriété, peut être modalisé par les parties2. En pratique, il arrive fréquemment que les risques soient mis à charge de l'acheteur alors que ce dernier n'a pas encore reçu la chose qu'il a achetée.
Par ailleurs, lorsque le vendeur est mis en demeure par l'acheteur de livrer la chose, et que les risques ont déjà été transférés à l'acheteur, cette mise en demeure fait reposer les risques sur le vendeur3. Dans l'hypothèse où la chose viendrait à périr après cette mise en demeure, il ne sera plus possible pour le vendeur de réclamer le prix de la chose.
La même règle trouve bien entendu à s'appliquer lorsque c'est le vendeur qui a mis l'acheteur en demeure de payer le prix, alors que le risques étaient à charge du vendeur4.
Lorsque la vente est annulée, il a été jugé par la Cour d'appel de Mons que « l’annulation d’une vente opérant rétroactivement implique de replacer les parties dans la même situation que si la vente n’avait jamais existé, le vendeur est censé être demeuré propriétaire de la chose et, à ce titre, doit subir le risque lié à la disparition par cas fortuit sans être libéré pour autant de son obligation de restituer le prix »5.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Mons, 20 mai 2003, R.R.D., 2003, p.257.
2. E. MONTERO et V. PIRSON, « La vente », in Guide juridique de l’entreprise, 2ème éd., Kluwer, 2005, p. 13.
3. S. DAVID-CONSTANT, « Le transfert de la propriété par actes entre vifs », in Rapports belges au Xème Congrès international de droit comparé – Budapest, 23-28 août 1978, Bruxelles, Bruylant, 1978, p.141, note (20); P. HARMEL,« Vente – Théorie générale », in Rép. Not., T. VII, L. I, Bruxelles, Larcier, 1985, p. 190.
4. E. PLASSCHAERT, C. DETAILLE, C. ALTER, R. THUNGEN, J. GERMAIN, A. DELEU, A., « Les effets de la vente », in Manuel de la vente, Kluwer, Waterloo, 2010, 164 et suivantes.
5. Mons, 20 mai 2003, R.R.D., 2003, p. 257, note T. Starosselets.