Présentation des faits1
Le 30 janvier 2006, l’Institut professionnel des agents immobiliers (IPI) a introduit une requête auprès du Tribunal de commerce de Charleroi, sur base des articles 95 et suivants de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur (L.P.C.)2 à l’encontre du notaire G. Cette requête visait:
- la constatation dans le chef du notaire G. d’une activité contraire aux usages honnêtes en matière commerciale, portant atteinte aux intérêts professionnels des agents immobiliers,
- un ordre de cessation de tout acte participant à la négociation de la vente de biens immobiliers, tels que publicité, visite, recherche d’amateurs, discussion du prix, enchères, réception d’offres, etc..
La Chambre des notaires du Hainaut et la Fédération royale du notariat belge sont ensuite intervenues volontairement à la cause. Elles soulèvent notamment l’irrecevabilité de la demande de l’IPI.
Il est également utile de mentionner que l’ASBL Réflexions immobilières a formé intervention volontaire à la cause afin de soutenir l’action de l’IPI.
Par un jugement rendu le 4 avril 2007, le premier juge a déclaré la demande de l’IPI non fondée en ce qu’elle tendait à voir ordonner la cessation par la notaire G. “de toute activité de négociation immobilière au motif que celle-ci serait par principe interdite au notariat”. Le tribunal a considéré qu’une telle activité, exercée à titre accessoire, pouvait être licite dans le chef d’un notaire.
L’IPI a fait appel de ce jugement. L’Institut estime que le notaire G. accomplit de manière fréquente des actes de courtage immobilier, dans un cadre professionnel en vue d’en tirer un gain. Par conséquent, il exerce un commerce prohibé par les règles gouvernant la profession de notaire, constituant une pratique contraire aux usages honnêtes en matière commerciale.
En revanche, le notaire G., ainsi que la Chambre des notaires et la Fédération royale précitées estiment que lorsque les notaires, de manière générale, pratiquent la négociation immobilière, ils ne violent pas l’interdiction qui leur est faite d’exercer le commerce, puisque la négociation immobilière constitue un service non détachable de la mission notariale, réliée à l’acte authentique. Par conséquent, dès lors que cette activité présente un caractère accessoire à l’activité principale, les intimés considèrent qu’elle perd sa “commercialité”, s’inscrit dans le prolongement de la mission du notaire et s’accomplit dans l’exercice de sa profession civile et libérale.
Décision de la Cour d’appel de Mons
Concernant le fondement de la demande originaire formulée à l’encontre du notaire G., la Cour cite la définition de l’article 2 du Code commerce et constate que parmi les actes de commerce, il convient de ranger le courtage. Quant à la définition du courtage, la Cour rappelle celle-ci et donne la définition suivante: “le contrat par lequel un intermédiaire indépendant se charge, à titre professionnel, de mettre en rapport deux ou plusieurs personnes en vue de leur permettre de conclure entre elles une opération juridique à laquelle il n’est pas lui-même partie”.
Le Cour estime ainsi que l’activité de négociation immobilière telle que pratiquée par les agents immobiliers relève du courtage.
Se tournant ensuite vers l’analyse de la loi de ventôse organisant le notariat, la Cour rappelle que les notaires ne sont pas autorisés à exercer le commerce, que cela soit directement ou par l’intermédiaire d’autres personnes. A cet égard, la Cour considère que le fait que le notaire jouisse d’un monopole concernant l’authentification du contrat de vente immobilière ne fait pas de celui-ci une partie à l’acte de vente, dont le negotium entre le vendeur et l’acheteur préexiste à l’instrumentum, à savoir l’acte authentique.
Concernant la pratique notariale contestée par l’IPI, le Cour constate que celle-ci est précise. Il s’agit en effet du fait que le notaire joue un rôle actif dans la négociation économique préalable à la passation de l’acte authentique de vente, et plus spécifiquement la recherche d’un cocontractant, et non le fait que le notaire effectue, avant d’authentifier la vente, diverses prestations essentiellement d’ordre juridique.
En l’espèce, la Cour, après avoir analysé toutes les circonstances propres de l’affaire, décide que les pratiques du notaire G. relèvent du courtage, auquel est attaché une présomption de commercialité par le Code de commerce.
Les juges d’appel ont également considèré que l’activité d’authentification était devenue l’accessoire de l’activité de courtage, et non l’inverse comme le soutient le notaire G. En conséquence, la Cour d’appel estime que l’activité de courtage exercée par le notaire G., dès lors qu’elle est l’activité principale, est contraire à l’interdiction posée par la loi de ventôse organisant le notariat.
Bon à savoir
La question s’est posée de savoir si le notaire pouvait, comme l’agent immobilier, faire du courtage immobilier. A cet égard, il est intéressant de souligner que la jurisprudence a évolué, laissant petit à petit la possibilité au notaire de pratiquer le courtage immobilier, pour autant que certaines conditions soient respectées.
Les agents immobiliers considèraient que les notaires leur faisaient une concurrence déloyale. L’Institut professionnel des agents immobiliers (IPI) a notamment fait savoir que la loi organique du notariat interdisait aux notaires d’exercer le commerce, directement ou par personne interposées4. Selon l’article 2 du Code de commerce, le courtage est réputé acte de commerce, ce qui a mené les tribunaux à analyser les conditions auxquells le notaire pourrait faire de la négociation immobilière.
L’arrêt analysé, à savoir l’arrêt de la Cour d’appel de Mons du 15 juin 2009, a notamment considéré que les pratiques du notaire en question entraient en conflit avec l’interdiction de commercialité dès lors que l’activité de courtage ne présentait pas dans son chef un caractère accessoire.
Il est cependant intéressant de mentionner, que suite à cet arrêt, le notaire s’est pourvu en cassation et que la Cour de cassation a considéré que, lorsque le courtage est l’accessoire de la mission principale du notaire, ce dernier est autorisé à exercer le courtage5.
En conclusion, bien que le notaire ne soit pas autorisé à rechercher de manière active des missions de courtage, il peut parfaitement accepter une telle mission lorsqu’elle lui est demandé6.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Mons, 15 juin 2009, J.T., 2009, liv. 6361, p. 516.
2. À présent insérés dans le Code de droit économique.
3. Voy. article 6 de la loi ventôse an XI.
4. Voyez : B. KOHL., « Notariat et négociation immobilière », J.L.M.B., 2009/37, pp. 1761-1774.
5. Cass., 11 juin 2010, RG n° C090525F-C090526F, www.juridiat.be; B. LOUVEAUX., « [Déontologie] Agents immobiliers - notaires : suite du match », Immobilier 2010, liv. 13, pp. 1-2.
6. G. CARNOY., « Le courtage immobilier des notaires après l'arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2010 », Jurim Pratique, 2014/2, p. 61-87.