Présentation des faits1
Madame J. et les époux S. sont tous deux commerçants voisins, au centre de Namur. Les époux S.-H. y ont deux immeubles. Dans l’un d’eux (numéro 11), ils exerçant un commerce de bijouterie et l’autre (numéro 13), ils l’avaient donné à bail commercial à la SPRL N.
Les époux S. souhaitent toutefois vendre leur immeuble, Monsieur S. ayant décidé de se retirer des affaires.
Madame J. est vivement intéressée, mais le prix demandé par les époux S.-H. lui paraît trop élevé. Elle sollicite l’intervention d’un expert pour évaluer en connaissance de cause la valeur vénale des immeubles. Le 30 septembre, l’expert arrête une valeur vénale en vente publique de 7.200.000 francs.
Entre-temps, soit le 15 septembre 1988, les époux S. et Madame J. signent une convention libellée comme suit :
« Je soussigné Monsieur S. s’engage à donner option sur mes bâtiments, n°11 et 13.
En cas de vente, Madame J.M., aura la préférence sur les autres candidats-acheteurs pour ces bâtiments (…) ».
Dès le 27 septembre, Monsieur S. avait chargé une agence immobilière pour qu’elle mette les immeubles en cause en vente. La première publicité, apparue dans un journal le 29 septembre, mentionne un prix de presque 11 millions.
Le 5 octobre, Monsieur S. a signalé à Madame J. que l’option qu’il lui avait conférée est périmée. Le même jour, Monsieur S. reçoit un courrier de Madame lui indiquant qu’elle levait l’option au prix fixé à dire d’expert (7.200.000 francs).
Le 7 novembre, Monsieur S. a vendu les immeubles litigieux à Monsieur Z. sous la condition suspensive que Madame J. n’exerce pas son droit de préférence.
Le 10 novembre, Monsieur S. notifie cela à Madame J. et la met en demeure par recommandé de lui faire savoir pour le 20 décembre au plus tard si elle exerce son droit de préférence.
Suite à ce courrier, Madame J. a cité, le 15 novembre 1988, les époux S. afin de les voir condamner à passer acte authentique de vente. Elle soutient qu’il n’est pas question de droit de préférence mais de droit d’option dans son chef au prix de 7.200.000 francs.
Dès janvier 1989, Monsieur Z. fait savoir aux époux S. que s’il ne peut acquérir définitivement ces immeubles avant le 30 juin 1989, il devra retirer son offre. Le 16 juin 1989, les époux S. ont conclu avec Monsieur Z. une convention de résiliation amiable de la vente des deux immeubles.
Par jugement du 31 mai 1994, le tribunal de première instance a débouté Madame J. de sa demande.
Madame J. a alors interjeté appel de ce jugement.
Décision de la Cour d’appel de Liège
Sur l’existence d’un droit de lever de l’option par Madame M.
La Cour d’appel de Liège commence par rappeler que pour qu’il y ait option au sens juridique du terme, il faut que la convention invoquée contienne une promesse unilatérale de vente, c’est-à-dire un engagement ferme de vendre aux conditions précisées pendant un délai défini, de sorte que dès que le bénéficiaire de l’option la lève, il y a vente parfaite au sens de l’article 1583 du Code civil.
En l’espèce, la convention litigieuse mentionnait que Monsieur S. s’engageait à donner option sur ses bâtiments n°11 et 13 et qu’en cas de vente, Madame M., aurait la préférence sur les autres candidats-acheteurs pour ces bâtiments.
La deuxième phrase s’oppose à la notion d’option à laquelle la première phrase fait référence.
Dès lors, la convention ne peut s’analyser comme une promesse unilatérale de vente, mais tout au plus comme un pacte de préférence.
Par ailleurs, la promesse unilatérale de vendre implique que l’accord ait existé sur l’objet et sur le prix.
Or, aucun des experts cités n’a entendu qu’il s’agissait par son expertise de lier les parties au prix qu’il allait fixer.
Par conséquent, il n’y a pas place en l’espèce pour une levée de l’option dans le chef de Madame M.
Sur l’existence d’un droit de préférence dans le chef de Madame M.
La Cour d’appel de Liège rappelle tout d’abord que le pacte de préférence constitue un contrat unilatéral, le propriétaire vendeur s’engageant seul, au cas où il vend, vis-à-vis du bénéficiaire dudit engagement.
Pareil pacte n’est valable que s’il porte sur un objet certain, qui forme la matière de l’engagement.
Lorsque le pacte fait état d’une préférence sur les autres candidats-acquéreurs, il faut admettre que les parties se réfèrent au prix le plus élevé offert par les autres amateurs, ce qui constitue un prix déterminable.
Par ailleurs, l’engagement pris par le propriétaire vendeur ne peut, à l’évidence, le lier à vie. En revanche, l’esprit de la loi et du contrat veut qu’à défaut de précision du délai dans l’acte, le droit de préférence doit s’exercer dans un délai raisonnable.
En l’espèce, Madame J. n’ayant pas exercé son droit de référence comme il se devait à l’occasion de la mise en demeure des époux S. et le délai pour ce faire étant périmé, les propriétaires des immeubles ont repris leur liberté de vendre leurs immeubles à Monsieur Z.
L’absence de réaction du bénéficiaire à la notification de la vente sans condition conclue par le propriétaire avec un autre amateur entraine en effet la déchéance de son droit.
Par conséquent, la Cour d’appel de Liège déclare l’appel principal de Madame J. recevable, mais non fondé, contrairement à l’appel incident dit fondé.
Bon à savoir
Dans la pratique, le pacte de préférence est souvent exprimé simplement sans véritables précisions concernant les modalités relatives à la notification et à l’exercice de ce droit de préemption. Cela étant, le fait que lesdites modalités ne soient pas précisées n’altère en rien la validité du pacte de préférence2.
La plupart du temps, les clauses relatives au pacte de préférence renvoient, en ce qui concerne les modalités d’exécution, vers les règles applicables pour le bail à ferme ou pour les biens ruraux.
Il revient, en tout état de cause, aux parties de déterminer librement les modalités relatives à la notification de la vente et à l’exercice du droit de préférence3.
Toutefois, en l’absence précisions dans le pacte de préférence, le principe est que le bénéficiaire doit exercer son droit dans un délai raisonnable4, à défaut de quoi, ce dernier est déchu de pouvoir conclure par priorité5.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Liège, 24 juin 1996, J.L.M.B., 1996, p. 1323.
2. Bruxelles, 6 mai 2009, Rev. not. belge., 2009 p. 836.
3. P. RENIERS, «Droit de préemption – Les notifications modalisées», in Les baux. Actualités législatives et jurisprudentielles, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 209 ; Mons, 14 juin 2005, J.L.M.B., 2009, p. 153; Civ. Dinant, 26 février 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1821.
4. Mons (2e chambre), 19 avril 2010, J.L.M.B., 2012/11, pp. 500-507.
5. Liège, 24 juin 1996, J.L.M.B., 1996, p. 1323.