Présentation des faits1
Par compromis du 27 décembre 1992, les époux V.-P. ont vendu aux époux Z.-H. un immeuble pour le prix de 6.000.000 francs.
L’extrait de la matrice cadastrale délivrée par l’Administration le 19 février 1993 indiquait que le revenu cadastral de l’immeuble ne s’élevait qu’à 10.500 francs. Il était précisé qu’il s’agissait de la situation au 1er janvier 1991.
La compromis précisait que la vente de l'immeuble ne donnerait lieu qu'à une perception « d'un demi-droit » d’enregistrement par l'Administration fiscale.
L'acte notarié, passé le 21 avril 1993, stipulait quant à lui que les acquéreurs entendaient se prévaloir de la réduction des droits d'enregistrement prévue à l'article 53 du Code des droits d'enregistrement (6% au lieu de 12,5%), dans l'hypothèse d'un revenu cadastral inférieur à 30.000 francs.
Le 26 septembre 1994, soit un an et demi après la vente, le receveur de l'enregistrement a signalé aux époux Z.-H. que le revenu cadastral de leur immeuble avait été revu à la hausse, en raison d'importants travaux de transformation réalisés dans l'immeuble avant le 1er janvier 1992. Le revenu cadastral était ainsi fixé à 85.200 francs, donnant lieu à la perception de droits d'enregistrement complémentaires 390.000 francs (soit 6,5% du prix).
Cette somme a été payée ultérieurement par les époux Z.-H. à l'Administration de l'enregistrement.
Les époux Z.-H. ont ensuite introduit une action en justice contre les époux V.-P. et contre l’Etat belge en vue d'obtenir leur condamnation au paiement de 390.000 francs de dommages et intérêts à titre de réparation du dommage subi en raison de la réévaluation du revenu cadastral de leur immeuble.
Les époux V.-P. ont formé une demande incidente en garantie à l'encontre de l'État belge.
Le premier juge a débouté les époux Z.-H. de leur demande principale, tant à l'égard des époux V.-P. qu'à l'encontre de l'État belge et a, par conséquent, déclaré sans objet la demande incidente des époux V.-P.
Les époux Z.-H. ont interjeté appel de ce jugement.
Les époux V.-P. forment un appel incident à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la demande principale serait déclarée fondée à leur égard.
Les époux Z.-H. invoquent la responsabilité contractuelle des vendeurs pour n’avoir pas respecter les conditions de leur offre de vente et avoir omis de signaler le risque d’une réévaluation du revenu cadastral de l’immeuble en raison des travaux de transformation y ayant été exécutés.
Ils invoquent également la responsabilité de l’Administration, celle-ci ayant négligé d’adapter le revenu cadastral dès la fin des travaux, soit à la fin de l’année 1990.
Décision de la Cour d’appel de Bruxelles
La Cour constate que les époux V.-P., intéressés par la maison totalement rénovée, ont fait procéder à une expertise en vue de l'achat, le 27 novembre 1990 et ont ensuite conclu la vente le 8 janvier 1991, payant à cette occasion un droit d'enregistrement réduit de 6%, eu égard au caractère modique du revenu cadastral, soit 10.500 francs.
La Cour considère que c’est à bon droit que le premier juge n'a pas fait droit à la demande dirigée contre les époux V.-P. En effet, elle estime qu’aucun élément du dossier ne permet d’établir qu’ils auraient été ou dû être au courant de la problématique liée aux modifications de l’immeuble, puisque les travaux de rénovation en question étaient déjà terminés lorsqu’ils ont acheté la maison en 1991.
De plus, ils ont payé à cette occasion un droit d'enregistrement réduit à 6% en raison de la modicité du revenu cadastral dont ils ont pu, comme les époux Z.-H. après eux, ne pas percevoir le caractère anormal, n'étant pas professionnels des transactions immobilières ni du droit fiscal.
La Cour estime qu’ils n’ont pas manqué de bonne foi et que c’est sans intention de tromper les acquéreurs qu’ils leur ont signé que la vente présentait l’avantage de n’être soumise qu’à un droit d’enregistrement réduit dont ils avaient eux-mêmes bénéficié.
Par conséquent, les juges d’appel ne retiennent aucune faute dans le chef des vendeurs.
Concernant la responsabilité de l’Etat belge, la Cour constate sue si l'Administration du Cadastre avait été plus diligente, elle aurait adapté le revenu cadastral en 1992 pour l'exercice 1993, au plus tard, après avoir reçu l’information relative à la délivrance d'un permis de bâtir et avoir pris les renseignements qui lui eussent permis de savoir, sans investigations poussées, que les travaux étaient terminés depuis 1990. L’administration a dès lors commis une faute en relation causale avec le dommage subi par les époux Z.-H.
En effet, ces derniers auraient pu soit refuser de passer l’acte authentique en raison du changement d'un élément essentiel ayant déterminé leur consentement, soit auraient pu renégocier avec les vendeurs les modalités financières de l'opération.
Bon à savoir
Dès la phase précontractuelle d’une vente immobilière, plusieurs informations doivent être transmises par le vendeur (ou par l’intermédiaire) au candidat acquéreur.
Notamment l’Administration du cadastre commet une faute en adaptant tardivement un revenu cadastral, lorsqu’elle est en possession d’éléments suffisants pour se rendre compte de l’état réel de l’immeuble rénové.
Il y a lieu de considérer que la faute de l’Administration du cadastre est en lien causal avec le dommage subi par les acquéreurs lorsque ces derniers auraient pu soit refuser de passer l’acte authentique en raison du changement d’un élément essentiel ayant déterminé leur consentement, soit renégocier avec les vendeurs le prix de la vente, s’ils n’avaient pas été induits en erreur par l’extrait de la matrice cadastrale.
Toutefois, la responsabilité contractuelle des vendeurs ne peut pas être engagée dès lors que ceux-ci avaient, deux ans auparavant, acquis le bien revendu avec l’application du taux réduits et n’avaient effectué aucun travail de valorisation dans le bien en question.
De plus, dans le cas d’espèce, l'Administration, que les acquéreurs pouvaient supposer être la mieux informée quant à l'adaptation du revenu cadastral à la valeur réelle de l'immeuble, leur avait fourni un renseignement erroné qui confirmait celui que leur avait donné les vendeurs à ce sujet. En conséquence, les acquéreurs ont pu légitimement croire que le revenu cadastral renseigné sur l'extrait de la matrice cadastrale était exact.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Bruxelles, 15 septembre 2000, Rec. gén. enr. not. 2001, p. 130.