Présentation des faits1
Depuis 1969, Madame U. est locataire du rez-de-chaussée commercial de l’immeuble dans lequel elle exerce un commerce d’antiquités. Cet immeuble était la propriétaire de Madame H., décédée depuis et aux droits desquelles viennent se enfants Messieurs et Mesdames H.
Le dernier contrat de bail commercial a été conclu les 2 et 3 janvier 1996 entre d’une part Madame H. et d’autre part Madame U. pour une durée comprise entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 2004.
Le contrat de bail prévoit notamment qu’en cas de vente de l’immeuble par le bailleur la priorité sera réservée au preneur.
Par un compromis de vente signé en décembre 2009, Madame H. a vendu la totalité de l’immeuble commercial aux époux V.
L’acte authentique de vente a été signé le 17 avril 2000. Mesdames U estiment que cette vente a été réalisée en violation de leur droit de priorité. Elles ont en conséquence cité le 2 octobre 2001, Madame H. et les consorts V. devant le tribunal de première instance de Bruxelles aux fins de prononcer l’annulation ou, à tout le moins la résolution de l’acte authentique d vente et de condamner Madame H. à passer un acte authentique de vente de l’immeuble au profit de Mesdames U., conforme à l’acte annulé ou résolu. Mesdames U. sollicitent également des dommages et intérêts pour réparer le préjudice résultant du retard dans la passation de l’acte authentique de vente.
Par jugement du 20 avril 2004, le premier juge a décidé que l’immeuble a été vendu au mépris du droit de préemption qui existait en faveur des parties U. en toute connaissance de cause de toutes les parties à la vente. Il a condamné solidairement les parties H., qui ont repris l’instance en qualité d’héritiers de Madame H., et les consorts V. au paiement de la somme de 49.578,70 EUR, majorée des intérêts judiciaires.
Mesdames U. ont alors interjeté appel contre ledit jugement, l’appel reprenant les mêmes demandes originaires.
Décision de la Cour d’appel de Bruxelles
La Cour d’appel du Bruxelles rappelle tout d’abord le contenu de la clause figurant dans le contrat de bail : « en cas de vente de l’immeuble par le bailleur, la priorité sera réservée au preneur ».
Bien que rédigée simplement, la portée de cette clause est claire et précise. Elle a pour objet l’obligation pour le bailleur, s’il décide de vendre l’immeuble, de donner la préférence au preneur. Les parties et le bien sur lequel porte le droit de préférence sont également déterminés.
La Cour précise en outre que le défaut de précision dans la clause litigieuse des modalités de notification de la vente et d’exercice du droit de préférence ne constituent pas un obstacle à la validité de cette clause, compte tenu du principe de l’exécution de bonne foi des conventions. Dans ce cas, le bénéficiaire du droit de préférence est tenu d’exercer son droit dans un délai raisonnable, sans quoi il sera déchu de ce droit.
Toutefois, l’obligation du bénéficiaire du droit de préférence de prendre attitude quant à l’exercice de ce droit dans un délai raisonnable ne naît que lorsque le promettant a exécuté son obligation d’information en lui communiquant tous les éléments nécessaires à l’exercice de ce droit.
En l’espèce, les parties H. ne prouvent pas qu’elles ont donné ces informations aux parties U. afin qu’elles soient en mesure d’exercer leur droit.
Au contraire, les parties H. ont caché l’existence d’un accord avec les parties V. et ont tout fait pour dissuader les parties U. d’exercer leur droit de préférence.
La méconnaissance du droit de préférence dans le chef de l’une et l’autre partie entraine l’annulation de la vente.
Les parties H. ne recouvrent pas pour autant, à la suite de l’annulation de la vente aux parties V., la liberté de vendre ou non leur immeuble à qui bon leur semble. Madame H., leur auteur, a en effet vendu le bien aux parties V., ce qui démontre son intention de vendre aux conditions prévues par la convention conclue avec les parties V.
La manifestation de cette volonté de vendre à ces conditions ouvre aujourd’hui le droit des parties U. de conclure la vente aux mêmes conditions que celles offertes par les parties V. Cela se justifie par le principe de la réparation en nature de la violation de leur droit de priorité.
Eu égard à toutes ces considérations, la Cour d’appel de Bruxelles a déclaré l’appel des parties U. fondée. Elle a ainsi annulé la vente de l’immeuble, intervenue par acte authentique du 17 avril 2000, et a condamné les parties H. et V. à se présenter devant le notaire aux fins de passer l’acte authentique de vente au profit des parties U.
Bon à savoir
Dans la pratique, le pacte de préférence est souvent exprimé simplement sans véritables précisions concernant les modalités relatives à la notification et à l’exercice de ce droit de préemption.
Cela étant, le fait que lesdites modalités ne soient pas précisées n’altère en rien la validité du pacte de préférence2.
La plupart du temps, les clauses relatives au pacte de préférence renvoient, en ce qui concerne les modalités d’exécution, vers les règles applicables pour le bail à ferme ou pour les biens ruraux.
Il revient, en tout état de cause, aux parties de déterminer librement les modalités relatives à la notification de la vente et à l’exercice du droit de préférence3.
Toutefois, à défaut d’avoir énoncé des précisions dans le pacte de préférence, le principe est que le droit doit être exercé dans un délai raisonnable4. Cette règle ressort notamment d’un arrêt de la Cour d’appel de Liège datant du 24 juin 1996. Dans cette affaire, le bénéficiaire du droit de préférence avait reçu notification qu’une vente allait être conclue par le propriétaire avec une autre personne s’il n’exerçait pas son droit de priorité. Vu que le bénéficiaire n’a pas réagi à cette notification dans un délai raisonnable, il a été déchu de pouvoir conclure par priorité5.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Bruxelles, 6 mai 2009, Revue du notariat belge, 2009, p 836.
2. Bruxelles, 6 mai 2009, Rev. not. belge., 2009 p. 836.
3. P. RENIERS, «Droit de préemption – Les notifications modalisées», in Les baux. Actualités législatives et jurisprudentielles, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 209 ; Mons, 14 juin 2005, J.L.M.B., 2009, p. 153; Civ. Dinant, 26 février 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1821.
4. Mons (2e chambre), 19 avril 2010, J.L.M.B., 2012/11, pp. 500-507.
5. Liège, 24 juin 1996, J.L.M.B., 1996, p. 1323.