Présentation des faits1
Un mur percé de fenêtres a été construit il y a plus de trente ans entre les propriétés voisines de Madame A et de Madame D.
Madame A a construit une cuisine qui se situe sur sa propriété, à environ un mètre cinquante des fenêtres du mur litigieux.
Madame D a prétendu que, par prescription trentenaire, elle a acquis une servitude de vue, voire de prospect.
Cette dernière a donc introduit une action possessoire fondée sur la servitude apparente et continue dont elle se prévaut, afin de faire démolir le mur de la nouvelle cuisine de Madame A.
Décision du juge de paix
Le juge de paix rappelle tout d’abord, que pour que l'usucapion d'une telle servitude se réalise, il ne suffit pas que les vues ou les jours illégaux soient maintenus durant trente ans, mais il faut également qu’il existe un empiétement sur le fonds voisin.
De plus, cet empiétement doit se présenter de façon suffisamment significative, ne fût-ce que pour que le propriétaire du fonds voisin puisse savoir, au moins en théorie, qu'une usucapion de servitude est en train de s'opérer.
Cependant, en l'espèce, le juge constate que l'empiétement se limite à un seuil débordant de cinq centimètres environ, situé au bas des fenêtres.
Ainsi, le juge estime que cette seule circonstance ne peut être un empiétement suffisant pour fonder une usucapion de servitude de vue et encore moins de prospect, que les fenêtres s'ouvrent d'ailleurs vers l'intérieur, excepté une qui ne s'ouvre pas du tout et que les verres sont pour la partie supérieure transparents et pour la partie inférieure translucides.
Le juge considère que même s'il était établi qu'il existe un empiétement suffisant pour fonder une usucapion, la seule obligation de Madame A, serait de se conformer à l'article 701 du code civil qui prévoit que « Le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode »2.
Le juge décide que d’après l’appréciation in concreto des lieux, Madame A ne viole pas l’article 701 du Code civil dans le cas où il y aurait une servitude active, le mur laissant passer la lumière.
Dès lors, le juge de paix décide de débouter Madame D de son action.
Bon à savoir
L'acquisition d'une servitude de vue du fait de l'homme par usucapion suppose un empiétement sur le fonds voisin. Les cas cités par la doctrine et la jurisprudence concernent, par exemple, un balcon ou un auvent faisant saillie sur le fonds d'autrui3.
De plus, cet empiétement doit se présenter de façon suffisamment significative, ne fût-ce que pour que le propriétaire du fonds voisin puisse savoir, au moins en théorie, qu'une usucapion de servitude est en train de s'opérer.
Ainsi, un empiétement de quelques centimètres, constitué au bas des fenêtres n’est pas suffisant pour établir la volonté d'usucaper, dans la mesure où l'emprise doit se présenter de façon significative pour que le propriétaire du fonds voisin puisse savoir qu'un délai de prescription acquisitive court à son encontre.
Dans le cas où l’empiètement est significatif, le propriétaire du fonds dominant serait en droit d'exiger que les constructions du voisin respectent, par analogie, les articles 678 et 679 du code civil qui prévoient respectivement qu’ « On ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres [...] de distance entre le mur où on les pratique et le dit héritage »4 et que l’« on ne peut avoir des vues par côté ou obliques sur le même héritage, s'il n'y a six décimètres [...] de distance »5.
Cette solution est, certes, retenue par la jurisprudence française mais va à l’encontre des critiques de la jurisprudence belge et de la doctrine dominante6. Ainsi, le propriétaire du fonds servant ne devrait que se conformer à l’article 701 du code civil qui prévoit que « Le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode. Ainsi, il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée»7.
C’est le juge du fond qui apprécie souverainement en fait, si le passage, constitue l'exercice de la servitude8 établie par le titre invoqué par le titulaire du fonds dominant, en fonction des circonstances de fait, de l’état des lieux, de l’interprétation d’éventuelles conventions et de l’intention des parties et du dommage subi par le propriétaire du fonds dominant. Il pourra aussi prendre en compte les mentions figurant sur l'acte instrumentaire, les caractéristiques de ces deux fonds et la manière dont la servitude a été utilisée9.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Justice de paix Visé, 19 octobre 1998, J.L.M.B., 1998/42, p. 1840-1841.
2. Article 701 du Code judiciaire.
3. Jacques HANSENNE, Les servitudes en droit privé, La Charte - J.J.P., Collection Droit et immobilier, 1994, n° 104 et suivants, ainsi que J.P. Huy, 25 octobre 1985, J.L. - J.L.M.B., Centenaire, Story-Scientia, 1988, p. 192, et la note du même auteur, p. 195.
4. Article 678 du Code civil.
5. Article 679 du Code civil.
6. voy. J. HANSENNE, Les servitudes en droit privé, La Charte - J.J.P., Collection Droit et immobilier, 1994, n° 105.
7. Article 701 du Code judiciaire.
8. Cass. (1re ch.), 6 mars 2003, Arr. Cass. 2003, p. 568.
9. Civ. Mons (1re ch.) 9 février 2000, Cah. dr. immo, 2001, p. 17.