Présentation des faits1
Suivant un plan de délimitation dressé le 27 février 2009 par la S.P.R.L. T., un ensemble immobilier a fait l'objet, au cours des vingt dernières années, de diverses mutations.
À la suite de l'acquisition de son bien, Madame A, a construit une maison d'habitation sur la parcelle située à l'arrière de sa propriété, et a procédé à la démolition de l'entrepôt implanté en partie arrière de la parcelle.
Sur l'ensemble de cette parcelle, elle a projeté d'ériger, à partir du front à rue, deux appartements et plusieurs garages dont les murs devraient prendre appui sur la façade latérale droite de l'immeuble de Madame B.
A l'occasion de la vue des lieux du 8 mars 2013, Madame B a dit qu'elle avait l'intention d'aménager un appartement à l'étage de son immeuble, auquel les futurs occupants pourraient accéder au moyen de la porte percée dans la partie privative du mur séparatif des propriétés des parties.
Madame A a introduit une action contre Madame B réclamant, pour les besoins de son projet immobilier, que la porte latérale de l'immeuble de Madame B soit obturée, et que le jour surplombant une porte soit supprimé.
Madame B a accepté de supprimer le jour qui équipe la partie supérieure de la porte, mais a refusé, en revanche, de condamner la porte latérale d'accès à son immeuble.
À l'appui de ce refus, Madame B a affirmé qu'elle dispose d'une servitude de passage et d'ouverture de porte, créée par « destination du père de famille » en vertu de l'article 694 du Code civil.
Décision du juge de paix
Concernant la porte latérale
Le juge rappelle l’article 694 du Code civil qui prévoit que « si le propriétaire de deux héritages, entre lesquels il existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ».
Le juge constate que Madame B ne démontre pas que le fonds lui appartenant actuellement bénéficiait d'une servitude de passage au profit de celui de Madame A, avant la réunion de l'ensemble immobilier en une seule main le 9 septembre 1995. Elle ne prouve pas non plus l'existence d'une telle servitude de passage au profit de son fonds, avant le 9 septembre 1995.
Le juge estime, à cet égard, que si certains témoignages confirment l'existence de la porte d'accès latérale à son immeuble bien avant le 9 septembre 1995, ils ne constituent toutefois ni la preuve ni un commencement de preuve par écrit, qu'une servitude de passage grevant le fonds de Madame A aurait alors existé.
Il se pourrait que les anciens propriétaires de l'immeuble de Madame B accédaient à cette porte grâce à une simple tolérance de passage.
Le juge déclare donc la demande concernant la porte latérale fondée, et autorise Madame A à murer, à ses frais, la porte litigieuse.
Concernant le jour surplombant une autre porte
Le juge accueille également ce second volet de la demande, puisqu'à l'occasion de la vue des lieux du 8 mars 2013, Madame B admit le caractère illicite de l'ouverture pratiquée dans la partie supérieure de la porte numérotée 2, et marqua son accord pour la supprimer.
Bon à savoir
L’article 694 du Code civil prévoit que« Si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné »2.
L'article 694 envisage l'hypothèse d'un rétablissement de servitudes apparentes, dont le caractère continu n'est pas exigé.
Celui qui invoque l'article 694 du Code civil doit cependant « démontrer, suivant le droit commun de la preuve, qu'avant la réunion des fonds servant et dominant en une seule main, la servitude litigieuse avait été créée par un titre transcrit ou par prescription »3.
L'application de l'article 694 du Code civil suppose la réunion de trois étapes : « Tout d'abord, les héritages entre lesquels existe un rapport d'assujettissement apparent doivent avoir appartenu à des personnes différentes, ensuite, ils doivent avoir été la propriété d'un même individu, ayant maintenu le lien de service entre eux et, enfin, avoir à nouveau été séparée... ; cette servitude joue pour les servitudes discontinues, pour autant qu'elles se matérialisent par des ouvrages qui les rendent visibles depuis le fonds servant »4.
Dans le même ordre d'idées, il fut jugé que : « L'existence d'une servitude de passage n'ayant jamais été justifiée ou prouvée antérieurement, le seul aspect extérieur de la propriété de la défenderesse ne suffit pas pour en établir l'existence antérieure et on ne peut dès lors pas la ressusciter sur la base de l'article 694 du Code civil »5.
Dès lors, pour invoquer une ancienne servitude de passage ayant existé entre deux fonds ayant appartenu à deux propriétaires différents, puis ayant été réunis dans la même main avant d'être à nouveau séparés, il faut d’une part, que la servitude ait été utilisée pendant la période où les fonds étaient réunis et d’autre part, qu'il soit prouvé qu'avant la réunion des biens en une seule main, existait bien entre eux un rapport de servitude.
Tel n'est pas le cas lorsque des témoignages confirment l'existence d'une porte d'accès latérale à un immeuble avant la réunion de l'ensemble immobilier en une seule main, mais qu'ils ne constituent toutefois pas la preuve qu'une servitude de passage aurait existé entre les fonds, si bien qu’il se pourrait que l'accès à cette porte reposait sur une simple tolérance.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
_______________
1. Justice de paix Tournai (2nd canton), 25 juin 2013, J.L.M.B., 14/392.
2. Article 694 du Code civil.
3. S. BOUFLETTE, « Servitudes du fait de l'homme et servitudes légales - Chronique de jurisprudence 2001-2008 », Formation permanente CUP, vol. 104, p. 263.
4. S. BOUFLETTE, « Servitudes du fait de l'homme et servitudes légales - Chronique de jurisprudence 2001-2008 », Formation permanente CUP, vol. 104, p. 262.
5. J.P. Bastogne, 22 septembre 2000, in Droits réels - Chronique de jurisprudence 1998-2005, Dossiers du J.T., n° 63, p. 250.