Présentation des faits1
Mesdames G. et T. D. ont donné en location à Monsieur R. un immeuble situé à Ixelles. Le contrat de bail a été signé le 20 janvier 1982. Il était conclu pour une période de neuf ans, commençant le 1er février 1982, et pour un loyer mensuel de 17.000 francs.
Le 31 janvier 2008, Monsieur F. et Madame G. ont acquis la propriété du bien donné en location à Monsieur R. Le même jour, ils ont informé ce dernier du changement de propriétaires ainsi que du transfert du bail.
Les nouveaux propriétaires lui ont également fait part de leur intention d’occuper personnellement le bien. Ils lui ont donc signifié un congé de six mois. Les lieux devaient être libérés pour le 31 juillet 2008.
Le 1er août 2008, Monsieur R. occupait toujours personnellement les lieux. Il a ensuite conclu avec les propriétaires une convention d’occupation précaire le 5 septembre, selon laquelle l’occupation précaire était consentie contre le paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle de 816,57 euros. Elle prenait par ailleurs fin le 25 octobre 2008, et ce de plein droit.
Madame G. et Monsieur F. ont déclaré que Monsieur R. avait quitté les lieux le 3 novembre 2008, alors que ce dernier affirme être parti le 26 octobre 2007.
Le 7 décembre 2009, Monsieur R. a envoyé un courrier à Monsieur F. et Madame G. dans lequel il réclame une indemnité de dix-huit mois de loyer pour non-réalisation du motif d’occupation personnelle des lieux. Il estime, en effet, que les conditions posées par la loi du 20 février 1991 en cas de congé pour motif d’occupation personnelle n’ont pas été respectés par Monsieur F. et Madame G.
Le 26 octobre 2010, le premier juge a déclaré la demande recevable mais non fondée.
Monsieur F. a fait appel de cette décision, et renouvelle sa demande originale.
Décision
Le Tribunal rappelle que, conformément à l’article 3, paragraphe 2 de la loi du 20 février 1991, le bailleur qui souhaite occuper personnellement le bien doit donner congé six mois à l’avance au preneur. En vertu de l’article 3 précité, les lieux doivent, en outre, être occupés par le bailleur dans l’année qui suit l’expiration du préavis donné par le bailleur, et doivent rester occupés de manière effective et continue pendant au moins deux ans. Lorsque le bailleur n’occupe pas le bien dans les conditions et délais prévus par la loi, le preneur a droit à une indemnité égale à dix-huit mois de loyer.
Le tribunal estime toutefois que la charge de la preuve de l’inexécution de l’occupation personnelle par les bailleurs repose sur Monsieur R., et ce en application des articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire. Il appartient donc à Monsieur R. de prouver qu’en l’espèce Madame G. et Monsieur F. n’ont pas occupé personnellement les lieux dans les délais et conditions prévues à l’article 3, paragraphe 2, de la loi du 20 février 1991.
Les lieux devant être occupés par le bailleur dans l’année qui suit l’expiration du préavis donné par le bailleur, le point de départ à prendre en compte en l’espèce est le 31 août 2008. Le tribunal constate dès lors que Monsieur F. et Madame G. étaient dans l’obligation d’occuper personnellement le bien au plus tard à partir du 31 août 2009, de façon effective et continue, pour une période d’au moins deux ans.
Monsieur F. et Madame G. estiment quant à eux qu’ils n’ont pas pu occuper personnellement le bien dans le délai précité à cause des travaux qu’ils devaient réaliser avant de s’installer dans les lieux et qui ont pris du retard. Ils invoquent l’existence d’une circonstance exceptionnelle au sens l’article 3, paragraphe 3, alinéa 4 de la loi du 21 février 1991.
Le tribunal rappelle à cet égard que Madame G. et Monsieur F. ont notifié un congé à Monsieur R. dans le but d’occuper personnellement, et non dans le but de réaliser des travaux. Cette deuxième hypothèse tombe en effet sous l’application de l’article 3, paragraphe 3 de la loi du 20 février 1991.
Lorsque le bailleur souhaite occuper personnellement le bien, conformément de l’article 3 paragraphe 2 de la loi précitée, le Tribunal considère qu’il a le droit d’effectuer des travaux, à condition toutefois que ceux-ci ne durent pas plus d’un an.
Quant à l’analyse de l’article 3, paragraphe 2, alinéa 4 de la loi précitée, le Tribunal rappelle que les retards dans les travaux peuvent constituer une circonstance exceptionnelle faisant obstacle à l’occupation personnelle dans le délai d’un an. Il appartient cependant aux bailleurs d’apporter la preuve que cette circonstance exceptionnelle est indépendante de leur volonté et qu’elle n’était pas prévisible au moment où ils ont donné le congé.
En l’espèce, le tribunal considère que le délai pour obtenir un permis d’urbanisme ne justifie pas le retard de Monsieur F. et Madame G. à occuper personnellement les lieux, et ne constitue pas une circonstance exceptionnelle. Le tribunal souligne également que Monsieur F. et Madame G. ont tardé à introduire leurs demandes de permis, puisqu’ils ont attendu cinq semaines la première fois et plus de trois mois la deuxième fois.
Le délai nécessaire pour la réalisation des travaux était dès lors prévisible et ne constitue pas une circonstance exceptionnelle au sens de l’article 3, paragraphe 2, alinéa 4 de la loi du 20 février 1991.
Le tribunal condamne Monsieur F. et Madame G. à payer à Monsieur R. l’indemnité de dix-huit mois de loyer, soit 14.698, 26 euros.
Bon à savoir
Conformément à l’article 3, paragraphe 2, de la loi du 20 février 1991, le bailleur peut mettre fin au contrat de bail de résidence principale pour occuper personnellement le bien.
Il est toutefois important que le bailleur donne congé six mois à l’avance au preneur2.
Quant à l’occupation par le bailleur, celle-ci doit intervenir dans l’année qui suit l’expiration du congé donné par le bailleur. L’occupation doit, par ailleurs, être continue et effective, et durer au moins deux ans3.
Lorsque le bailleur n’occupe pas les lieux dans le délai d’un an précité, une indemnité équivalente à dix-huit mois de loyer est due par le bailleur4.
Il peut être dérogé au délai d’un an pour occuper personnellement le bien en cas de circonstances exceptionnelles5.
Le bailleur qui entend réaliser des travaux avant d’occuper le bien, et qui ne reçoit pas les permis d’urbanisme à temps à cause de négligences commises par sa faute, ne peut toutefois pas se prévaloir de circonstances exceptionnelles, celles-ci n’étant pas indépendantes de sa volonté.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Civ. Liège, 28/06/2013, J.L.M.B., 2015, liv. 23, p. 1097.
2. Article 3, paragraphe 2, alinéa 1er, de la loi du 20 février 1991.
3. G. Benoit, I. Durant, P. Jadoul, M. Vanwijck-Alexandre, Le bail de résidence principale, Bruxelles, La charte, 2006, p. 165.
4. Article 3, paragraphe 2, alinéa 4, de la loi du 20 février 1991.
5. Ibid. La notion de circonstances exceptionnelles doit être interprétée de façon restrictive. Voy. par exemple J.P. Etterbeek, 23 mai 2011, J.J.P., 2013, p. 290.