Présentation des faits1
Madame H. était locataire depuis plus de 18 ans d’une parcelle de terrain lorsque cette parcelle a été mise en vente en 1989. Elle bénéficiait d’un droit de préemption sur ladite parcelle.
Le notaire D. a averti Madame H. que la parcelle avait été vendue par acte authentique du 9 avril 1991 et que l’acquéreuse, Madame V., lui avait demandé de ne pas notifier le droit de préemption en application de l’article 52, 7° de la loi sur le bail à ferme se référant à l’article 6, §1er, 2° de la même loi2. Le notaire D. avait annexé à cette lettre une attestation de la Région wallonne qui précisait qu’aucun travaux de voirie n’étaient nécessaires et que le ministre de la Région wallonne pour l’aménagement du territoire avait décidé que la parcelle devait être considérée comme terrain à bâtir en vertu des articles 186 et 188 du Code wallon de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme (CWATUP). La décision ministérielle en question a ensuite été annulée en raison de l’incompétence de l’auteur de l’acte.
Madame H. a introduit une action en justice visant à ce qu’il soit dit pour droit que la vente intervenue le 9 avril 1991 a été faite en méconnaissance de son droit de préemption, et que par conséquent Madame H. doit être subrogée aux droits de Madame V. en qualité d’acquéreuse de la parcelle.
Suite à une vue des lieux ayant eu lieu le 27 juin 1994, le juge de paix a dit pour droit que la vente avait été faite en méconnaissance du droit de préemption de Madame H. et a subrogé celle-ci dans les droits de Madame V.
Madame V. a ensuite interjeté appel de ce jugement. Elle demande à pouvoir bénéficier de la restitution intégrale du prix payé majoré des intérêts judiciaires.
Décision du Tribunal
Les juges commencent par rappeler qu’en vertu de l’article 52, 7° de la loi sur les baux à ferme, le preneur ne jouit pas du droit de préemption dans le cas prévu à l’article 6, §1er, 2°, qui vise les baux concernant les terrains non bâtis qui, au moment du congé, doivent être considérés comme terrains à bâtir sans que des travaux de voirie doivent y être effectués au préalable.
La principale question en l’espèce est celle concernant la qualification du terrain en cause et sa nature de terrain « à bâtir ». Le Tribunal considère que plusieurs critères peuvent être utilisés, ainsi que plusieurs méthodes de références, pour déterminer si une parcelle est « à bâtir ». Les juges citent comme méthodes de référence possibles d’une part l’obtention d’un permis de bâtir et d’autre part les normes réglementaires fixant l’affectation du territoire.
Toutefois, le Tribunal constate qu’il ressort d’une doctrine et d’une jurisprudence constante que la qualification de « terrain à bâtir » est avant tout une question de fait, et que les critères suivants sont utilisés par exemple utilisés :
- La situation administrative,
- La proximité d’autres biens bâtis ou bâtissables,
- La qualité du sol,
- Etc.
Les juges considèrent qu’il leur appartient d’examiner ces différents critères. Après avoir notamment analysé les dispositions du C.W.A.T.U.P., les juges sont d’avis que la situation administrative de la parcelle ne permet pas de conclure que cette dernière a la nature d’un terrain à bâtir.
Les juges se sont également penchés sur les autres éléments de fait, tels que ceux précités, et en déduisent que le caractère bâtissable de la parcelle en cause n’est pas établi et que par conséquent, contrairement à ce que prétend Madame V., l’exception visée à l’article 52, 7°, de la loi sur les baux à ferme n’est pas applicable en l’espèce.
Bon à savoir
Le droit de préemption, également appelé pacte de préférence, un droit reconnu à une personne lui permettant d’avoir priorité sur tout autre candidat si le bien immobilier venait à être mis en vente3.
Lorsqu’il y a un droit de préemption, le bénéficiaire aura la préférence pour conclure la vente aux mêmes conditions que celles proposées par le tiers4.
Concernant la différence entre « droit de préemption » et « pacte de préférence », le premier est utilisé lorsque le droit a été institué par la loi tandis que le deuxième lorsque le droit est de nature contractuelle5.
L’article 52 de la loi du 4 novembre 1969 sur les baux à ferme, précise que le preneur ne jouit pas du droit de préemption dans certains cas, et notamment pour les baux concernant les terrains non bâtis qui, au moment du congé, doivent être considérés comme terrains à bâtir sans que des travaux de voirie doivent y être effectués au préalable. Il est intéressant de mentionner que la qualification de terrains à bâtir est en principe une question de fait. La qualification sera déterminée au regard de divers critères, dont notamment :
- La situation administrative,
- La proximité d’autres biens bâtis ou bâtissables,
- La qualité du sol,
- Etc.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Civ. Nivelles (1re ch.), 4 novembre 2003, J.T., 2004/4, n°6124, p. 77.
2. Selon ces articles, le preneur ne bénéficie pas d’un droit de préemption lorsque « les baux concernent des terrains non bâtis qui (…) doivent être considérés comme terrains à bâtir sans que des travaux de voirie doivent y être effectués au préalable ».
3. Voyez : E. BEGIUN, « Droit de préemption : quelques réflexions liées à la pratique notariale », Rev. dr. rur. , 2003, pp. 85 et suivantes.
4. M. VANWIJCK-ALEXANDRE et S. BAR, « Le pacte de préférence ou le droit de conclure par priorité », in Le processus de formation du contrat, Coll. Commission Université-Palais, vol. 72, Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 133 et suivantes.
5. E. BEGUIN., « Le droit de préemption », in Guide de droit immobilier, Wolters Kluwer Belgium, Waterloo, 2013, VI.1.11.0. – 1 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, Le droit de préemption, Paris, L.G.D.J., 1979, p. 7 ; Cass., 19 février 1970, Pas., 1970, I, p. 542; Cass., 24 janvier 2003, Pas., 2003, I, p. 186; Cass., 27 avril 2006, Pas., 2006, I, p. 976.