Présentation des faits1
Un bail a été conclu le 4 septembre 2000 pour une durée de trois ans. Monsieur C. a donné en location une ville située à Tournai aux époux Cr. et Z. à partir du 1er septembre 2000.
Le contrat de bail contient notamment la clause suivante en son article 2 : « En cas de circonstances exceptionnelles, le preneur pourra mettre fin anticipativement au présent bail moyennant
- Un préavis minimum de trois mois, par lettre recommandée ;
- Le paiement d’une indemnité forfaitairement au montant de trois mois de loyers ».
En son article 20, le contrat de bail prévoit également qu’ « en cas de résiliation du bail à ses torts, le preneur devra supporter tous les frais, débours et dépens quelconques provenant ou à provenir du chef de cette résiliation à payer, outre le loyer venu à échéance avant son départ, une indemnité de relocation équivalente au loyer d’un semestre ».
Les époux ont, par ailleurs, payé la garantie locative de 50.000 francs.
Le 19 février 2001, les époux Cr. et Z. ont envoyé une lettre recommandée à Monsieur C. afin de mettre fin au bail à partir du 31 mai 2001 pour circonstances exceptionnelles. Les époux reprenaient, en effet, l’immeuble de la mère de Madame Z. qui était décédée.
Dans le même courrier, les époux signalent qu’ils connaissent des personnes intéressées pour reprendre le bail.
D’après les époux Cr. et Z., Monsieur C. a accepté par téléphone de mettre fin au bail amiablement et a accepté de donner la villa en location à Madame T., la personne proposée par les époux, et ce à partir du 1er juin 2001.
Madame T. a versé la garantie locative de 50.000 francs le 29 mars 2001.
Les époux, ayant peur de ne pas récupérer leur garantie locative, n’ont pas payé les loyers des mois d’avril et mai.
Monsieur C. conteste quant à lui avoir résilié amiablement le bail et avoir conclu un contrat de bail avec Madame T.
Mis devant le fait accompli, il admet toutefois avoir conclu un contrat de bail avec Madame T.
Par une lettre recommandée du 24 avril 2001, l’avocat de Monsieur C. signale aux époux Cr. et Z. que Monsieur C. pourrait accepter leur départ, pour autant que ceux-ci payent les loyers d’avril et de mai, ainsi que l’indemnité de 150.000 francs conformément à l’article 20 du contrat de bail.
Monsieur C. introduit une action en justice contre les époux Cr. et Z. Il veut, en effet, les faire condamner à lui payer la somme de 50.000 francs à titre d’arriérés de loyer. Il demande également à ce que soit prononcée la résiliation du contrat de bail concernant la ville situé à Tournai aux torts des époux C. et Z., mais aussi à ce que ces derniers soient condamnés à lui payer une indemnité contractuelle de 150.000 francs.
Les époux Cr. et Z. estiment, quant à eux, que puisque Monsieur C. n’a subi aucun préjudice suite à la résiliation du bail, il n’est pas fondé à réclamer l’indemnité de relocation équivalente à six mois de loyers. Les époux Cr. et Z. invoquent à cet égard soit l’article 1231 du Code civil soit la théorie de l’abus de droit.
Décision
Le Tribunal examine si l’indemnité due par les époux Cr. et Z. est l’indemnité de relocation de 150.000 francs prévue à l’article 20 du bail ou s’il s’agit de l’indemnité de rupture de 75.000 francs prévue à l’article 2.
Les juges commencent par considérer que les manquements commis par les époux Cr. et Z. ne sont pas d’une gravité suffisante pour prononcer la résolution du bail à leurs torts.
Les juges estiment également que les époux Cr. et Z. n’ont pas apporté la preuve de ce que le bail avait été résilié de façon amiable. Cette preuve repose pourtant sur eux.
Quant à la validité de la clause de résiliation anticipée du bail de courte durée prévue à l’article 2, les juges rappellent que celle-ci est parfaitement valable.
L’attribution de l’immeuble de la mère décédée de Madame Z. à cette dernière constitue, par ailleurs, une circonstance exceptionnelle qui permet de résilier anticipativement le bail.
Monsieur C., en concluant un bail avec Madame T., a renoncé à sa faculté de contester la rupture anticipée des époux Cr. et Z. Il ne pouvait, à partir de ce moment, plus prétendre que les époux n’étaient pas en droit d’invoquer l’article 2 du bail.
Dès lors que les juges ont admis le principe de la résiliation anticipée du bail, ils se sont interrogés sur la possibilité pour Monsieur C. de réclamer l’indemnité contractuelle équivalente à trois mois de loyers.
Puisque cette clause n’indemnise pas un préjudice, les juges considèrent qu’elle ne constitue pas une clause pénale. Il s’agit en effet de la contrepartie de la faculté de résiliation unilatérale prévue dans le bail. Le juge ne peut dès lors pas réduire cette clause sur base de l’article 1231 du Code civil.
Les juges estiment toutefois que Monsieur C. commet un abus de droit en réclamant l’indemnité de trois mois prévue dans le bail. Le bailleur n’a subi aucune perte locative, n’a pas dû remettre le bien en état et n’a pas dû faire appel à une agence immobilière pour trouver un nouveau locataire.
C’est pourquoi les juges sanctionnent l’abus de droit de Monsieur C. en réduisant l’indemnité à 37.500 francs.
Bon à savoir
Quand un bail de résidence principale de courte durée est conclu et qu’une partie souhaite mettre fin anticipativement au bail, il convient de distinguer deux hypothèses.
Tout d’abord, lorsque les parties n’ont pas prévu de clause permettant la résiliation anticipée du bail par l’une des parties, il ne sera possible ni pour le bailleur ni pour le preneur de résilier le bail avant terme2. Dans pareil cas, les parties seront dans l’obligation de poursuivre le bail jusqu’au terme, sous peine de commettre une faute contractuelle3.
Lorsqu’une faculté de résiliation anticipée a été prévue par les parties dans le contrat de bail, les conséquences à attacher à une telle clause sont discutées en doctrine4.
Selon une tendance majoritaire en doctrine basée sur la liberté contractuelle, les parties pourraient introduire dans leur bail les facultés de résiliation prévues pour les baux de neuf ans par le législateur. Les parties pourraient même inventer des clauses de résiliation anticipée5.
Lorsque les parties ont inséré une clause prévoyant une indemnité en cas de rupture anticipée du bail par le preneur, cette clause ne constitue pas une clause pénale. Cette dernière est simplement la contrepartie de la faculté de résiliation unilatérale prévue dans le bail.
Le juge ne peut, dès lors, pas réduire celle-ci sur la base de l’article 1231 du Code civil, quand bien même le bailleur ne parviendrait pas à démontrer que la résiliation lui aurait causé un préjudice.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Justice de paix de Tournai, 14 novembre 2001, J.L.M.B., 2002, p. 1803.
2. Voy. par exemple Justice de paix de Namur, 7 décembre 1999, Echos log., 2000, p. 88.
3. Voy. par exemple Justice de paix de Messancy, 3 mai 1996, Act. Jur. baux, 1998, p. 122.
4. G. Benoit, I. Durant, P. Jadoul, M. Vanwijck-Alexandre, Le bail de résidence principale, Bruxelles, La charte, 2006, p. 211.
5. Voy. par exemple Civ. Bruxelles, 9 septembre 1996, R.J.I., 1996, p. 211.