Présentation des faits1
L’action concerne le contrat de bail conclu entre la Société B. et Madame S. le 30 décembre 1985. Il s’agit d’un contrat de bail de résidence principale portant sur un appartement trois pièces, pour un loyer mensuel de 3.601 francs.
La Société B. demande la résiliation du bail à la date du 31 décembre 2008, ainsi que l’expulsion de Madame S. dans un délai de 24 heures à partir de la signification du jugement.
Le 16 juin 2008, la Société B. a envoyé une lettre recommandée à Madame S., par laquelle elle donnait un préavis de six mois commençant le 1er juillet 2008, et ce parce qu’elle devait effectuer des travaux.
Décision de la Cour
Vu l’ampleur des travaux à réaliser par la Société B., la Cour estime que le congé donné par celle-ci entre bien dans le champ d’application de l’article 3, § 2 de la loi du 20 février 1991 sur le bail de résidence principale.
La Cour valide le renon donné par la Société B.
Elle considère toutefois qu’il ne peut être fait droit à la demande d’expulsion immédiate. Dans le cas où il serait fait droit à cette demande, plusieurs droits fondamentaux garantis par des textes nationaux et internationaux seraient, en effet, violés. La Cour invoque à cet égard l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui interdit les traitements inhumains et dégradants, ainsi que l’article 23 de la Constitution belge qui garantit la dignité humaine.
La Cour évoque ensuite les circonstances de la cause qui rendraient l’expulsion de Madame S. contraires à la dignité humaine. La Cour les classe en deux catégories : celles propres à Madame S. et celles particulières à la Société B.
Tout d’abord, concernant Madame S., la Cour constate que cette dernière est clairement de bonne foi au sens de l’article 1244 du Code civil puisqu’elle n’a commis aucune faute. Il s’agit, en effet, d’une locataire ayant toujours payé ses loyers à temps, et ce depuis 25 ans. Sa situation actuelle est également difficile puisqu’elle est handicapée, âgée, et son seul revenu consiste en l’indemnité d’invalidité octroyée par sa mutuelle.
Quant à la Madame S., il s’agit d’une société immobilière à vocation sociale, bénéficiant de subsides publics. Il est important de souligner que la Société B., elle-même, pensait qu’elle occupait un logement social.
La Cour considère que la société de Madame S. devait être au courant qu’elle avait comme preneurs plusieurs locataires fragiles qui auraient plus de difficultés à retrouver un logement sans aide.
La Cour admet que, même s’il est vrai que Madame S. n’a pas l’obligation de reloger ses locataires durant la période des travaux, elle est toutefois tenue au respect de la dignité humaine de ses locataires, conformément à l’article 3 CEDH et l’article 23 de la Constitution.
C’est pourquoi la Cour estime que Madame S., dans la réalisation de ses travaux, aurait dû tenir compte de la fragilité de ses locataires et notamment donner son renon plus tôt afin de leur laisser le temps de se reloger.
La mesure d’expulsion ne peut pas être mise en œuvre à ce stade car ça serait prématuré. La Cour se réserve à statuer sur la demande d’expulsion jusqu’à ce que Madame S. ait eu la possibilité de retrouver un logement qui lui convient, c’est-à-dire un logement qu’elle peut se permettre financièrement.
Bon à savoir
L’article 3, paragraphe 3 de la loi du 20 février 1991, prévoit que « à l'expiration du premier et du deuxième triennat, le bailleur peut mettre fin au bail, en donnant congé six mois à l'avance, s'il a l'intention de reconstruire, transformer ou rénover l'immeuble en tout ou en partie ».
Il est toutefois important que les travaux à réaliser respectent trois conditions. Il faut, en effet, que ceux-ci :
1) Respectent la destination des lieux telle qu’elle résulte des dispositions légales et réglementaires en matière d’urbanisme,
2) Affectent le corps du logement occupé par le preneur, et
3) Soient d’un coût dépassant trois années du loyer afférent au bien loué ou, si l’immeuble dans lequel est situé ce bien comprend plusieurs logements loués appartenant au même bailleur et affectés par les travaux, d’un coût global dépassant deux années de loyer de l’ensemble de ces logements2.
Quant à la deuxième condition, il est nécessaire que le logement soit temporairement rendu inhabitable3.
À partir du moment où il a envoyé le préavis, le bailleur a six mois pour commencer les travaux et vingt-quatre mois pour les finir.
Tout comme lorsque le bailleur donne congé pour cause d’occupation personnelle, le préavis ne doit revêtir aucune forme particulière. Le bailleur a, en revanche, l’obligation de communiquer au preneur les documents justifiant le congé.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. J.P. Bruxelles, 26/05/2009, R.G.D.C., 2009, liv. 10, p. 508.
2. Article 3, § 3, alinéa 2, de la loi du 20 février 1991 relative au bail de résidence principale.
3. Doc. parl., Sén., sess. ord. 1990-1991, n° 1190/2, p. 38.