Présentation des faits1
La Société E. a acquis en mars 2002 la propriété d’un immeuble situé à Bruxelles. Cet immeuble était inoccupé depuis 1995 et était auparavant exploité par l’hôtel T.
Depuis le 1er février 2003, l’immeuble en question est par ailleurs occupé par l’Association F., devenue ensuite l’ASBL L. par un acte datant du 7 août 2004. L’objet de cette ASBL est de développer et de favoriser l’accès au logement dans la Région de Bruxelles-Capitale.
Chaque mois, l’ASBL L. verse la somme de 61.94 euros sur le compte de la Société A. avec en communication la mention « location maintenance ».
Le 30 mars 2005, le conseil de la Société E. a écrit la lettre suivante à l’ASBL L. :
“Il apparaît que vous occupez ces immeubles sans titre ni droit. Je me dois dès lors d’attirer votre attention sur les responsabilités civiles et éventuellement pénales que vous encourez. Je ne puis, à cet égard, que vous suggérer de prendre conseil auprès d’un de mes confrères. Je suis également dans l’obligation de vous inviter à déguerpir à très brève échéance, à défaut, je me verrai contraint de devoir saisir le tribunal compétent. Convenons qu’à défaut d’un accord pour un départ volontaire à une date certaine, je ferai signifier par l’intervention de mon huissier de justice, une citation devant madame le juge de Paix”.
Dans un courrier du 13 avril 2005, le conseil de l’ASBL L. a contesté occupé les lieux sans titre ni droit dès lors qu’un contrat de bail verbal existait.
Par une lettre recommandée datant du 13 février 2006, la Société E. a avisé l’ASBL L. des faits suivants :
“Notre cliente est fermement décidée à mettre fin dans les plus brefs délais au ‘squat’ et à introduire si nécessaire devant le juge de paix compétent une procédure afin d’obtenir l’expulsion de toute personne résidant sans titre ni droit dans l’ex-hôtel Tagawa. Par conséquent, nous vous mettons formellement en demeure de déguerpir de l’immeuble situé au 321-325 avenue Louise à 1050 Bruxelles endéans les 8 jours à dater de la réception de la présente. À défaut d’avoir quitté les lieux endéans le délai imparti, nous vous poursuivrons devant la juridiction compétente”.
Au moment du jugement, les lieux étaient toujours occupés par l’ASBL L.
La Société E. a introduit une action devant le juge de paix. Elle souhaite voir condamner l’ASBL L. à déguerpir des lieux, sous peine d’expulsion ainsi qu’au paiement de dommages et intérêts s’élevant à 200 euros par jour à partir du 1er février 2003.
Décision
Le juge constate que l’ASBL L. invoque l’existence d’un contrat de bail verbal. Il estime toutefois que le seul fait d’occuper les lieux depuis le 1er février 2003 n’est pas suffisant pour prouver l’existence d’un bail.
Ce n’est en effet pas parce que la Société E. ne s’est pas opposée à l’occupation des lieux jusqu’au 30 mars 2005 que les parties ont eu l’intention de faire naître un contrat de bail. Le juge constate que les parties n’ont convenu d’aucun prix. Or, il s’agit d’un élément essentiel du contrat de bail, ce conformément à l’article 1709 du Code civil.
Dès lors que les parties ne se sont pas mises d’accord sur la nature de l’occupation ainsi que sur le prix, la somme mensuellement versée d’initiative par l’ASBL L. ne saurait pas être assimilée au paiement d’un loyer.
A cet égard, le juge rappelle le prescrit de l’article 1108 du Code civil, selon lequel les deux parties doivent donner leur consentement afin qu’un contrat soit valide.
Pour le surplus, le juge estime également que le montant de 61,94 euros ne peut pas être assimilé à un prix au sens de l’article 1709 du Code civil. Cette somme ne peut en aucun cas être considérée comme l’équivalent de la valeur locative réelle de l’immeuble, en raison de l’importance de celui-ci ainsi que de sa localisation.
Le juge est d’avis que le fait que la Société E. ait eu son siège social dans l’immeuble jusqu’au 14 mai 2004 permet tout au plus de prouver qu’elle a toléré la présence de l’ASBL L., au moins jusqu’au 30 mars 2005, mais certainement pas qu’elle a concédé un bail puisque les éléments constitutifs pour que celui-ci existe ne sont pas réunis en l’espèce.
Par conséquent, le juge conclut que la Société E. ne s’est pas opposée à l’occupation des lieux par l’ASBL L. A défaut de bail, même verbal, il ne pouvait s’agir que d’une occupation précaire et que la Société E. pouvait dès lors y mettre fin à tout moment.
La Société E. ayant signifié son intention de mettre fin à l’occupation dans une lettre du 30 mars 2005 et ensuite dans un courrier recommandé du 13 février 2006 mettant l’ASBL L. en demeure de quitter les lieux dans les huit jours, le juge considère qu’elle occupe bien l’immeuble sans titre ni droit au moins depuis le 21 février 2006.
Bon à savoir
Le contrat de louage de choses est défini à l’article 1709 du Code civil de la manière suivante : il s’agit d’un « contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige à lui payer ».
Il ressort de cette définition que le bail contient deux éléments essentiels : l’usage et la jouissance d’une chose ainsi que le prix2.
Lorsque l’usage et la jouissance de la chose ont été accordés à titre gratuit, il ne saurait pas il y avoir bail3. Dans ce cas, il s’agit d’un prêt à usage4. Lorsque la contre-prestation payée par le preneur est dérisoire, il n’y a pas non plus de bail5.
Conformément à l’article 1108 du Code civil, le contrat de bail doit obéir à quatre conditions de validité : le consentement, la capacité, un objet certain et une cause licite. Il est dès lors indispensable que les parties marquent leur accord sur les éléments essentiels du contrat, soit la chose louée et le loyer6.
Lorsqu’une des parties a pris l’initiative de payer mensuellement un loyer au propriétaire d’un bâtiment, ce payement ne peut pas être assimilé au paiement d’un loyer dès lors que les parties ne se sont pas mises d’accord sur la nature de l’occupation et sur le prix7.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. J.P. Bruxelles, 22 décembre 2006, R.G.D.C., 2008, p. 486.
2. Cass., 25 juin 1954, Pas., 1954, I, p. 928 ; Cass., 4 janvier 1979, Pas., 1979, I, p. 501.
3. Cass., 4 janvier 1979, Pas., 1979, I, p. 501.
4. Civ. Courtrai, 8 mai 1979, T. Not., 1980, p. 50.
5. Liège, 23 juin 1982, Jur. Liège, 1982, p. 349.
6. Y. Merchiers, « Le bail en général », Rép. not., T. VIII, L., I, Bruxelles, Larcier, 1997, p. 107, n°4 ; Cass., 25 juin 1954, Pas., 1954, I, p. 928.
7. J.P. Bruxelles, 22 décembre 2006, R.G.D.C., 2008, p. 486.