Présentation des faits1
Le présent arrêt porte sur un contrat de bail conclu entre Madame D. et Madame E. Un différend a éclaté entre les parties concernant la réalisation de travaux par Madame E. En vertu de la convention de cession de bail signée le 10 octobre 1978, cette dernière s’était en effet engagée à réaliser lesdits travaux.
Par son jugement rendu le 16 décembre 1992, le Tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en degré d’appel, a débouté Madame D. de son action tendant à faire exécuter en nature les travaux que Madame E. s’était engagée à effectuer lors de la signature du contrat de cession de bail, datant du 10 octobre 1978.
Le tribunal a en outre considéré que Madame E. avait l’obligation de payer des dommages et intérêts à Madame D. en raison de l’inexécution des travaux. Le juge a fondé sa décision sur le fait que Madame D., invoquant depuis plusieurs années l’inexécution au moins partielle de l’obligation de faire incombant à Madame E., n’a jamais demandé au premier juge l’application de l’article 1144 du Code civil.
Le Tribunal de première instance a également estimé que c’était à bon droit que le premier juge, après avoir constaté que les travaux n’avaient pas été exécutés et que la poursuite des relations contractuelles entre les parties était devenue impossible, avait estimé que Madame E. avait l’obligation de dédommager Madame D. Au vue de ces différentes considérations de fait et de droit, le Tribunal a estimé que le premier juge a fait eu raison de d’appliquer l’article 1142 du Code civil et qu’il n’y avait pas lieu de lui préférer l’application de l’article 1144 du Code civil.
En première instance, Madame D. avait demandé la condamnation de Madame E. à exécuter en nature les travaux qu’elle s’était engagée à effectuer en vertu de la convention de cession de bail. En degré d’appel, elle avait demandé, à défaut pour Madame E. d’exécuter les travaux dans le mois suivant le jugement, d’être autorisée à les faire effectuer par un entrepreneur de son choix aux frais de Madame E. Par conséquent, Madame D. avait clairement opté pour l’exécution forcée en nature. Elle considère que Madame E. pouvait être condamnée à s’exécuter par équivalent uniquement dans l’hypothèse où l’exécution en nature des travaux s’avérait impossible, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Madame D. a introduit un pourvoi en cassation contre le jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles. Elle estime, tout d’abord, que le jugement attaqué s’étant borné à constater que la poursuite des relations contractuelles entre les parties était devenue impossible pour ordonner l’exécution par équivalent n’est pas légalement justifié.
Dans son cinquième moyen, Madame D. invoque également qu’en principe la résolution judiciaire d’un contrat à prestations successives, en l’occurrence un bail, remonte normalement à la demande en justice, à moins que les prestations effectuées en exécution de la convention après cette demande ne soient pas susceptibles de restitution. En l’espèce, le bail a pris fin, faute d’être renouvelé, le 1er février 1990. Le juge avait été saisi de la demande en résolution avant l’échéance du bail, et ne pouvait dès lors pas décider que la demande de résolution était sans objet au seul motif que plus aucun contrat de bail n’existait entre les parties au moment où il devait statuer. Par conséquent, Madame D. estime que sa décision n’est pas légalement justifiée.
Décision de la Cour de cassation
La Cour rappelle que Madame D. avait demandé au juge d’appel de condamner Madame E. à exécuter dans le mois du jugement les travaux et, à défaut d’être exécutés, d’être autorisée à les faire exécuter par une entreprise de son choix, à charge pour Madame E. de payer les travaux.
L’exécution en nature étant le mode normal d’exécution forcée des obligations de faire et de ne pas faire, la Cour estime que c’est uniquement dans l’hypothèse où l’exécution en nature n’est pas ou plus possible qu’il convient d’ordonner l’exécution par équivalent.
Par conséquent, la Cour a considéré que le jugement n’était pas légalement justifié dès lors que les juges s’étaient bornés à constater que les relations contractuelles entre les parties étaient impossibles pour ensuite conclure que Madame E. avait l’obligation de dédommager Madame D., à savoir de s’exécuter par équivalent.
La Cour analyse ensuite le cinquième moyen invoqué par Madame D. Ce moyen est pris de la violation des articles 1184 du Code civil et 1138, 3° du Code judiciaire.
La Cour observe que le jugement attaqué a constaté que Madame D. demandait la résolution du bail aux torts de Madame E. dans des citations datant du l7 août 1987 et ensuite du 10 mars 1989, mais également que le bail avait pris fin, à défaut d’être renouvelé, le 1er février 1990.
A cet égard, la Cour rappelle que la résolution d’un contrat synallagmatique par application de l’article 1184 du Code civil a normalement lieu ex tunc. Cependant, lorsque les prestations réciproques des parties effectuées en exécution du contrat ne sont pas susceptibles de restitution, elles ne sont pas annulées du fait de la résolution du contrat.
C’est pourquoi, il est possible que la résolution d’un contrat à prestations successives opère de façon rétroactive à partir du moment où l’exécution du contrat n’est plus poursuivie et où il n’y a pas lieu à restitution.
Par conséquent, la Cour estime que la fin du contrat survenue avant que le juge saisi de la demande de résolution se prononce n’a pas pour effet de priver d’objet cette demande. Les juges d’appel, considérant que la demande de résolution du bail était devenue sans objet en raison du fait que le bail n’existait plus, n’a pas légalement justifié sa décision.
Bon à savoir
Le contrat de bail est un contrat successif, ce qui signifie que les obligations des parties s’étendent dans le temps et ne s’exécutent pas en une seule fois. Même s’il est vrai que les obligations réciproques des parties prennent naissance à la conclusion du contrat, elles s’exécutent ensuite dans le temps2.
Du caractère successif du contrat de bail, il est possible de déduire une règle importante en cas d’inexécution de ses obligations par l’une des parties. Dans cette hypothèse, la résolution du contrat de bail ne pourra pas intervenir ex tunc, comme cela est normalement la règle en matière de contrats synallagmatiques. En matière de bail, lorsqu’il a été fait usage de la chose, il n’est en effet pas possible de remettre les choses dans leur pristin état3.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cass., 14 avril 1994, J.L.M.B., 1995, p. 1240.
2. Cass., 19 mars 1936, Pas., 1936, I, p. 197.
3. Y. Merchiers, Le bail en général, 3ème édition, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 99.