La preuve occupe une place centrale dans le cadre du procès pénal. Le droit de la procédure pénale prévoit que chacune des parties a la charge de prouver ses allégations. Cependant, la preuve et son admissibilité ne sont pas une zone de non-droit. Si effectivement, tous les modes de preuve sont en principe recevables devant le juge, il appartient à ce dernier de vérifier que, d’une part, le moyen de preuve a été soumis au principe du contradictoire et, d’autre part, que le moyen de preuve respecte le prescrit légal.1
En effet, dans le cas où le moyen de preuve était considéré comme illicite, il était purement et simplement écarté par le juge, de même que les éléments qui en étaient la conséquence directe.2 On distingue, lorsque l’on parle d’une preuve illicite, la preuve irrégulière et la preuve illégale.3 Toutefois, le droit de la preuve en matière pénale a connu une évolution avec ce que l’on appelle « la jurisprudence Antigone », ayant abouti à une consécration légale avec la loi du 24 octobre 2013.4
Plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont admis, au fil des années, que la preuve obtenue de manière irrégulière pouvait, malgré tout, être retenue par le juge. Ainsi, dans les arrêts du 14 octobre 2003, du 2 mars 2005 ou encore du 28 mai 2013, la Cour a conclu que la preuve obtenue de manière illicite n’entraînait pas ipso facto son exclusion, pour autant que « la gravité de l'infraction dépasse de manière importante la gravité de l'irrégularité ; la preuve obtenue irrégulièrement concerne uniquement un élément matériel de l'infraction ; l'irrégularité a un caractère purement formel ; l'irrégularité est sans incidence sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée ».5
Concrètement, cela signifie que, désormais, le juge ne peut plus, de manière mécanique, rejeter un moyen de preuve obtenu de manière irrégulière. Il doit, avant toute chose, procéder au test Antigone destiné à guider le juge dans sa démarche et lui permettre de tirer les conclusions appropriées.6 Ce test suppose de se poser deux questions. Premièrement, y a-t-il eu irrégularité dans la collecte de telles preuves ? Et deuxièmement, quelle est la conséquence de cette irrégularité ?7
Suite à ces divers arrêts de la Cour de cassation, le législateur a pris la plume afin de consacrer le principe dégagé de ces jurisprudences. Par la loi du 24 octobre 2013, le législateur a intégré un article 32 dans le titre préliminaire du Code de procédure pénale. Cet article prévoit que « la nullité d'un élément de preuve obtenu irrégulièrement n'est décidée que si : le respect des conditions formelles concernées est prescrit à peine de nullité, ou; l'irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve, ou; l'usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable ».
En d’autres termes, il n’y aurait plus que trois situations dans lesquelles le juge serait tenu d’exclure une preuve illicite. Tout d’abord, dans l’hypothèse de la violation d’une formalité prescrite à peine de nullité. Selon la doctrine, cette hypothèse n’est que théorique puisque très peu de formalités sont prescrites à peine de nullité.8 Il s’agit, par exemple, des cas prévues par les articles 86bis §4, 86ter alinéas 1 et 5, 90quater §5, alinéa 2, …
Ensuite, l’hypothèse d’une illicéité entachant la fiabilité de la preuve. En principe, le fait qu’une preuve soit peu, voir non fiable, n’entraîne pas ipso facto son annulation. En effet, le juge pourra, tout au plus, ne pas fonder sa conviction sur le moyen de preuve porté devant lui. Néanmoins, pour que la preuve soit déclarée nulle, il faut un lien de causalité. Cela signifie qu’il est nécessaire que non seulement elle ait été obtenue de manière irrégulière, mais également qu’en conséquence de cela, la fiabilité de la preuve soit compromise.9
Enfin, la dernière situation où le juge est tenu d’exclure la preuve illicite est celle où la preuve porte atteinte au droit à un procès équitable. La notion de procès équitable est une notion assez large, reprise à l’article 6 de la CEDH et englobant plusieurs droits fondamentaux tels que le droit au silence, la présomption d’innocence, le droit à un délai raisonnable, le droit à la défense10. La Cour de cassation, dans un arrêt du 4 mars 2015, a affirmé qu’un procès « cesse d’être équitable, notamment lorsque la preuve reçue malgré son irrégularité entraîne le risque d’une condamnation fondée sur des éléments douteux, alors que la partie qui se voit opposer ceux-ci n’est pas en mesure de les contredire utilement et de rétablir la vérité »
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1. A. Jacobs, «Le polygraphe et les exigences de la preuve en matière pénale», J.L.M.B., 2001/6, p. 267 ; Voy. également la fiche pratique «La preuve dans le procès pénal».
2. M.-A. Beernaert, «La fin du régime d’exclusion systématique des preuves illicitement receuillies par les organes chargés de l’enquête et des poursuites», J.L.M.B., 2005/25, p. 1094.
3. M.-A. Beernaert, ibidem, p. 1095.
4. Loi du 24 octobre 2013 modifiant le titre préliminaire du Code de procédure pénale en ce qui concerne les nullités, M.B., 12 novembre 2013.
5. Cass., 28 mai 2013, www.cass.be ; Voy. également Cass., 10 mars 2008, www.cass.be.
6. D. Mougenot, « Antigone, suite mais pas fin… », J.T., 2013/14, p. 269.
7. F. Lugentz, «La sanction de l'irrégularité de la preuve en matière pénale après la loi du 24 octobre 2013», J.T., 2015/8, p. 195.
8. M.-A. Beernaert, op. cit., p. 1102.
9. F. Lugentz, op. cit., p. 190.
10. Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.