Présentation des faits1
La Société A, entrepreneur, a été désignée dans le cadre d'une adjudication publique concernant la réalisation de travaux de rénovation de toiture d'un bâtiment scolaire.
La Société A a fait appel en sous-traitance, pour certains postes, à la S.P.R.L. R.
Les travaux ont débuté le 21 novembre 2007.
L’offre établie par la SPRL R, datée du 25 octobre 2007, décrit les travaux à réaliser par la S.P.R.L. R en précisant que l'installation de chantier, en ce compris les « moyens d'accès et protection utiles à notre exécution » sont à charge de la Société A. Cette offre a été acceptée sans réserve par la Société A.
La S.P.R.L. R a procédé à un bâchage provisoire des travaux tout en émettant, par recommandé et télécopie du 7 décembre 2007, des objections quant au choix du bâchage, en ajoutant que ce poste ne lui incombait pas.
En décembre 2007, le bâchage a été détruit lors d'une tempête et des infiltrations d'eau importantes se sont produites dans le bâtiment scolaire, un litige est alors né entre la Société A et la S.P.R.L. R, chacun se rejetant la responsabilité du sinistre.
Le maître de l'ouvrage ayant suspendu, suite à ce sinistre, le paiement des factures qui lui étaient adressées, la S.P.R.L. R. lui a notifié, le 4 septembre 2008, qu'elle entendait exercer l'action directe prévue à l'article 1798 du Code civil.
En novembre 2008, le maître de l'ouvrage a été indemnisé par la Société A.
Par citation du 8 décembre 2008, la Société A a cité la S.P.R.L. R. devant le tribunal de commerce de Tournai.
Par jugement du 1er mars 2010, le tribunal de commerce a dit la demande principale non fondée et a fait partiellement droit à la demande reconventionnelle de la S.P.R.L. R en condamnant la Société A à payer à la S.P.R.L. R. la somme de 29.338 euros.
Par requête du 29 mars 2010, la Société A a interjeté appel de ce jugement.
La S.P.R.L. R. a été déclarée en faillite par jugement du 27 mai 2010 du tribunal de commerce de Tournai.
Le curateur a formé appel incident par conclusions.
Décision de la Cour d’appel de Mons
La Cour d’appel constate que les parties s'opposent quant au point de savoir si les mesures de protection incombaient à l'entrepreneur ou au sous-traitant.
La Cour considère que la Société A aurait dû réagir à l’offre de la SPRL R en précisant à celle-ci que les mesures de protection de l’ouvrage seraient à charge de la SPRL R, ce qu’elle n’a cependant pas fait.
La Cour confirme donc le jugement de première instance et déclare que c'est à bon droit, conformément à la convention avenue entre ces parties, que les premiers juges ont considéré que ce poste incombait à la Société A et non à la SPRL R.
Bon à savoir
Si le maître de l’ouvrage suspend ses paiements à l’entrepreneur suite à un sinistre sur le chantier, le sous-traitant pourra exercer l’action directe sur pied de l’article 1798 du code civil.
L'action directe reconnue au sous-traitant permet à son titulaire d'exercer une action appartenant à l'entrepreneur et dont la source est le contrat conclu entre celui-ci et le maître de l'ouvrage2. Selon les termes de l’article 1798 du code civil, le sous-traitant a une action directe contre le maître de l'ouvrage jusqu'à concurrence de ce dont celui-ci se trouve débiteur envers l'entrepreneur au moment où l'action est intentée3.
Les créances permettant d'introduire une action directe sont nombreuses. Outre le non-paiement de la rémunération, le sous-traitant peut se prévaloir de toute créance issue du contrat de sous-traitance pour justifier l'exercice de l'action directe4. Toutefois, la créance du sous-traitant à l'égard de l'entrepreneur doit être certaine et exigible5. Par ailleurs, seules des créances liées aux travaux confiés par le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur principal peuvent fonder une action directe6.
Des conditions à l'exercice de l'action directe existent également au sujet des créances détenues par l'entrepreneur à l'encontre du maître de l'ouvrage. En ce sens, seules les créances de l'entrepreneur relatives au chantier sur lequel intervient le sous-traitant peuvent servir de base à une action directe7. Par contre, ces créances ne doivent pas nécessairement être exigibles par l'entrepreneur8 et il n'est pas requis qu'elles concernent les travaux réalisés par le sous-traitant9.
L'effet d'une action directe est similaire à celui d'une saisie-arrêt. Elle prive l'entrepreneur de son droit d'agir contre le maître de l'ouvrage10. Ce dernier peut d'ailleurs opposer au sous-traitant toutes les exceptions dont pourrait se prévaloir l'entrepreneur à l'égard du sous-traitant ainsi que toutes les exceptions dont il dispose à l'égard de l'entrepreneur. Cela signifie que si l'entrepreneur est en défaut d'exécution de ses obligations, le maître de l'ouvrage pourra opposer au sous-traitant l'exception d'inexécution qui privera d'effets l'action directe intentée11.
Cependant, ces exceptions ne peuvent valablement être invoquées que si elles existaient déjà au moment où le sous-traitant a manifesté sa volonté d'exercer une action directe12. C'est ainsi qu'en cas de faillite de l'entrepreneur principal, l'action directe ne peut plus être introduite à partir du jour du jugement déclaratif de faillite13.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cour d'appel Mons (1re chambre), 09 septembre 2013, J.L.M.B., 2014/34, p. 1607-1610.
2. Cour Constitutionnelle, 28 juin 2006, C.A., 2006, p. 1335.
3. Article 1798 du Code civil.
4. B. KOHL, « L'action directe des sous-traitants est-elle limitée au secteur de la construction immobilière ? », J.L.M.B., 2008, p. 1475.
5. Appel Bruxelles, 22 mai 2007, Entr. et dr., 2008, p. 65.
6. Cass., 21 décembre 2001, Pas., 2001, I, p. 2207.
7. O. JAUNIAUX, « L'action directe du sous-traitant. Entre éclaircies et brouillard persistant », R.G.D.C., 2006, p. 261.
8. Cass., 29 octobre 2004, Pas., 2004, I, p. 1697.
9. Appel Bruxelles, 18 mars 2010, Entr. et dr., 2011, p. 70.
10. Cass., 18 mars 2010, Pas., 2010, I, p. 887.
11. P. HENRY, « Action directe du sous-traitant : deux nouvelles précisions importantes », J.L.M.B., 2005/24, p. 1042.
12. P. WERY, Droit des obligations – Volume 1 : Théorie générale du contrat, Larcier, 2010, p. 753, n° 891.
13. Cass., 27 mai 2004, Pas., 2004, I, p. 922.