L'article 47 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail précise que l'assureur-accident du travail ou le Fonds des accidents du travail peuvent exercer une action contre le responsable de l'accident du travail, à concurrence des sommes payées à la victime ou à ses ayants cause 1. Ce montant est toutefois limité à celui que la victime ou ses ayants cause auraient pu réclamer en vertu du droit commun 2.
Le recours de l'assureur ou du Fonds des accidents du travail est de nature subrogatoire, avec pour conséquence que c'est la créance même de la victime ou de ses ayants droits qui se trouve transférée de leur patrimoine à celui de l'assureur 3. L'assureur va donc être subrogé dans les droits que la victime ou ses ayants droits auraient pu exercer contre le tiers responsable en vertu du droit commun, s'il n'y avait pas eu indemnisation par l'assureur-accident du travail 4.
Il en découle que le paiement fait par l'assureur à la victime éteint, à concurrence de son montant, la créance de cette dernière, laquelle ne peut cumuler l'indemnité versée par l'assureur-loi avec la réparation qu'elle pourrait obtenir en droit commun pour le même dommage 5.
Le recours de l'assureur est cependant limité à double-titre.
Premièrement, il ne peut agir qu'en concurrence du montant des décaissements qu'il a effectué en vertu de la loi du 10 avril 1971 et de ses arrêtés d'exécution (objet du recours). Par ailleurs, l'étendue du recours ne peut dépasser le montant des dommages et intérêts que la victime aurait pu réclamer au responsable en droit commun (assiette du recours) 6.
En d'autres termes, il y aura lieu, dans un premier temps, de déterminer d'une part, les débours consentis par l'assureur-loi et ensuite, de les comparer aux sommes auxquelles pourrait prétendre la victime si l'accident n'avait pas été un accident du travail ou sur le chemin du travail 7. Le recours de l'assureur-loi sera limité à concurrence du montant le plus faible des deux.
La comparaison porte sur le même préjudice matériel. Il s'agit donc principalement des frais (médicaux, de prothèse, de déplacement ou liés à la nécessité de l'aide d'une tierce personne) et du dommage matériel professionnel 8.
Ce dommage matériel professionnel peut être défini comme l'inaptitude à exercer des activités lucratives que la victime, compte tenu de ses qualifications, peut exercer dans le milieu économique et social qui est le sien 9. Selon la Cour de cassation, le dommage matériel professionnel englobe les pertes éventuelles de rémunération, la diminution de la valeur économique de la victime sur le marché du travail ainsi que les éventuels efforts accrus que fournit la victime dans l'accomplissement de ses tâches professionnelles normales 10. En outre, le dommage matériel doit être considéré dans son ensemble, incapacités temporaires et permanentes inclues 11.
Ne sont par contre pas repris dans l'assiette du recours de l'assureur-loi : le dommage moral, le pretium doloris, le préjudice esthétique 12, le dommage d'agrément, le dommage extra-professionnel ou le préjudice ménager 13.
Par ailleurs, la créance d'indemnisation de la victime est acquise à l'assureur subrogé avec tous les éléments et accessoires dont la victime pouvait se prévaloir 14. Par conséquent, l'assureur-loi peut réclamer les intérêts compensatoires découlant de l'évaluation de l'indemnité en droit commun, tout comme il peut se prévaloir d'un acte interruptif de prescription posé par la victime antérieurement à la subrogation 15.
La comparaison qu'il convient d'opérer entre les débours de l'assureur et l'indemnisation en droit commun doit se faire "in globo", c'est-à-dire qu'on ne va pas comparer chaque poste de dommage mais qu'on va globaliser l'ensemble, et on va voir ce que la victime aurait pu globalement obtenir en droit commun 16. Le dommage en droit commun doit donc être établi globalement, en principal et intérêts, et ensuite comparé aux débours de l'assureur loi.
Si l'objet des décaissements de l'assureur-loi est supérieur à l'assiette, c'est-à-dire à ce que la victime aurait pu percevoir en droit commun, le recours de l'assureur-loi contre le tiers responsable sera limité à ce que donne l'assiette. En effet, la situation du tiers responsable ne peut se trouver aggravée par le fait de l'intervention de l'assureur-loi 17.
Si, par contre, l'objet du recours est inférieur à ce que donne l'assiette, l'assureur-loi récupèrera auprès du tiers responsable de l'accident l'intégralité de ses décaissements et le surplus ira à la victime.
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1. Article 47 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.
2. Cass. 15 avril 2004, R.G. C.01.0417.N.
3. Cass., 9 octobre 1996, Pas., I, p. 953.
4. L. Van Gossul, Les accidents du travail, 3ème éd., De Boeck, Bruxelles, 1994, p. 135.
5. Article 46 §2 de la loi du 10 avril 1971.
6. Cass., 5 septembre 1996, Pas., I, p. 763.
7. C. Clesse, « Les accidents du travail », in Guide juridique de l'entreprise - Traité théorique et pratique. 2ème édition, Kluwer, Waterloo, 2014, p. 88.
8. F. Feron, « L'étendue de la subrogation dont bénéfice l'assureur loi », CRA, 2007/ 1, p. 11.
9. N. Simar, « Le recours loi et le recours de la mutualité », in La réparation du dommage, Anthémis, 2006, p. 137.
10. Cass., 16 mars 2004, Pas., 2004, I, p. 437.
11. Cass., 11 janvier 1979, J.T., 1979, p. 282.
12. Sauf si ce dernier est constitutif d'une atteinte à la capacité concurrentielle de la victime sur le marché du travail.
13. Sauf lorsqu'il y a octroi de l'assistance d'une tierce personne et que cette assistance vise notamment l'accomplissement d'activités ménagères.
14. Cass.18 septembre 1996, Pas., 1996, I, p.824.
15. Cass. 29 janvier 1992, Pas., 1992, I, p. 468.
16. Bruxelles, 2 juin 2003, R.G. 1994/AR/2624.
17. N. Simar, « Le recours loi » in Actualités du dommage corporel, L'accident du travail en l'an 2000, Juridoc, 2000, p. 207.