La responsabilité contractuelle se distingue fondamentalement de la responsabilité aquilienne. La première vise, en effet, à sanctionner le manquement à une obligation contractuelle et fait naître dans le chef de la partie défaillante une obligation de réparer le dommage causé par son manquement 1 tandis que la seconde sanctionne des manquements à des normes, générales ou spéciales, de prudence ou de diligence, dont le respect s’impose à tous.
La responsabilité contractuelle suppose donc un contrat liant deux parties, alors que la responsabilité extracontractuelle peut concerner deux étrangers que le hasard a mis en présence l’un avec l’autre 2.
Par ailleurs, les responsabilités contractuelle et extracontractuelle sont soumises à des régimes juridiques distincts notamment en matière de prescription puisque les actions contractuelles se prescrivent par dix ans alors que l’action en responsabilité aquilienne se prescrit par cinq ans à compter du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l'identité de la personne responsable et, en tout cas, par vingt ans à partir du jour qui suit le fait générateur du dommage 3. En outre, en matière extracontractuelle, la réparation doit être intégrale tandis qu’en matière contractuelle, la réparation ne porte que sur le dommage prévisible sauf dol du débiteur 4.
Il se peut toutefois qu’une partie à un contrat soit tentée d’opter pour la réparation extracontractuelle de son dommage plutôt que pour la responsabilité contractuelle afin d’obtenir l’indemnisation la plus large de tous les postes de son dommage. Par ailleurs, il y a lieu de distinguer la situation du tiers au contrat et celle de la partie au contrat.
En ce qui concerne la situation du tiers, il est communément admis que celui qui commet une faute contractuelle engageant sa responsabilité contractuelle à l’égard de son cocontractant peut aussi engager sa responsabilité extracontractuelle à l’égard d’un tiers lorsque le manquement à ses obligations contractuelles constituent simultanément et indépendamment du contrat, une violation de l’obligation générale de prudence qui s’impose à tous 5.
Cette responsabilité, bien qu’engagée dans le cadre de l’exécution d’un contrat, ne peut être que de nature extracontractuelle puisque, par hypothèse, le tiers n’est pas partie au contrat. Il n’est toutefois pas requis que le dommage subi par le tiers soit étranger à l’exécution du contrat 6.
En ce qui concerne les parties au contrat, on l’a dit, la tentation peut être grande, pour l’une d’entre elles, d’agir contre son cocontractant sur une base aquilienne plutôt que contractuelle dans le but de contourner les courtes prescriptions applicables à certains contrats 7 ou d’échapper à une clause limitative de responsabilité incluse dans le contrat et qui ne viserait que la responsabilité contractuelle 8.
La Cour de cassation a toutefois sérieusement limité les hypothèses dans lesquels une partie à un contrat peut agir en responsabilité extracontractuelle contre son cocontractant. Elle subordonne, en effet, cette action à la double condition de la constatation d’une faute qui ne soit pas purement contractuel et d’un préjudice étranger au dommage résultant d’un manquement contractuel 9. Les deux conditions sont cumulatives.
Premièrement, il est donc nécessaire que le manquement reproché au débiteur soit une faute « mixte », c’est-à-dire à la fois une faute contractuelle et une faute aquilienne 10. En d’autres termes, la faute imputée à la partie contractante doit constituer non seulement un manquement à une de ses obligations contractuelles mais également un manquement au devoir général de prudence 11. Ne peuvent donc donner lieu à un concours de responsabilités, les cas où l’obligation violée est de nature purement contractuelle, de même que l’hypothèse dans laquelle le débiteur commet, à l’occasion du contrat, une faute purement aquilienne 12.
Deuxièmement, le dommage subi par le créancier doit être différent de celui résultant seulement de la mauvaise exécution du contrat. Compte tenu de cette deuxième condition et de la définition large que reçoit le dommage contractuel en jurisprudence, la possibilité pour une partie d’agir en responsabilité aquilienne contre son cocontractant est limitée 13.
La jurisprudence prévoit toutefois une exception importante à cette règle lorsque le manquement contractuel reproché à l’autre partie est constitutif d’une infraction pénale 14. Dans ce cas, la victime est libre d’opter pour la responsabilité contractuelle ou la responsabilité extracontractuelle.
En effet, on considère qu’il serait contraire à l’ordre public de prévoir que la victime d’une faute contractuelle renonce par avance à l’action civile dérivant d’infractions qui pourraient être commises dans l’avenir. La portée pratique de cette exception est importante puisque pour toutes les obligations contractuelles de sécurité envers la personne d’autrui, il est permis au créancier, victime de l’inexécution, d’agir non seulement en responsabilité contractuelle mais également en responsabilité extracontractuelle contre son débiteur puisque le manquement contractuel est constitutif de l’infraction pénale de coup et blessures involontaires 15.
Enfin, précisons que les règles préalablement exposées dépassent le seul cas du recours introduit par un créancier contre son débiteur contractuel en raison de la faute commise par ce dernier.
Elles s’appliquent également aux relations entre une partie contractante et les agents d’exécution de l’autre partie contractante 16. L’agent d’exécution bénéficie donc d’une quasi immunité puisque la partie au contrat principal ne dispose d’un recours contractuel que contre son cocontractant direct et qu’elle ne peut, en principe, pas agir contre l’agent d’exécution sur une base extracontractuelle.
Par ailleurs, les règles du concours de responsabilités sont également applicables aux concours entre la responsabilité contractuelle et les responsabilités extracontractuelles du fait d’autrui visées à l’article 1384 du Code civil ainsi qu’au concours entre la responsabilité contractuelle et les responsabilités extracontractuelles du fait des choses et des animaux visés par le Code civil 17.
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1. P. A. Foriers, « Les concours de responsabilités contractuelle et extracontractuelle », in Les obligations contractuelles en pratiques, Limal, Anthemis, 2013, p.112.
2. B. Dubuisson, « Responsabilité contractuelle et responsabilité extracontractuelle » in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Waterloo, Kluwer, 2003, Dossier 3 – 5.
3. Article 2262 bis du Code civil.
4. Article 1150 du Code civil.
5. Cass., 25 octobre 2012, Pas., 2012, n°568.
6. Ibidem.
7. P. Wéry, La théorie générale des contrats, Bruxelles, Larcier, p. 676.
8. Anvers, 23 janvier 1986, R.W., 1986-1987, col. 324.
9. Cass., 7 décembre 1973, Pas., 1974, I, p. 376.
10. M. Van Quickenborne, « Réflexions sur le dommage purement contractuel », note sous Cass., 14 oct. 1985,
R.C.J.B., 1988, p. 347.
11. Cass., 29 septembre 2006, Pas., 2006, n°447.
12. J. Dabin et A. Lagasse, « La responsabilité délictuelle et quasi délictuelle — Examen de jurisprudence », R.C.J.B., 1955, p. 217.
13. Voy. L. Cornelis, « Le sort imprévisible du dommage prévisible », note sous Cass., 11 avril 1986, R.C.J.B., 1990, p. 81.
14. Cass., 26 octobre 1990, Pas., 1991, I, n° 110.
15. Bruxelles, 1er juin 1988, R.W., 1989-1990, p. 1401 ; Liège, 15 déc. 1994, J.L.M.B, 1996, p. 18.
16. Cass., 7 décembre 1973, Pas., 1974, I, p. 376.
17. Gand, 2 février 2012, N.j.W., 2013, p. 76.